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plus ou moins bien en finances se faisait un devoir d’entretenir un certain nombre de soldats levés sur ses terres pour le service particulier et l’honneur de sa maison. Le prince Esterhazy passait pour posséder ainsi environ un régiment. Le comte Caroly avait, dit-on, trois cents hussards ; l’archevêque de Gran, primat de Hongrie, rivalisait avec le prince Esterhazy ; l’évêque d’Agram, en Croatie, faisait garder ses châteaux et ses terres par six cents grenadiers. Comme pendant à cette milice domestique, la Hongrie a toujours eu, jusqu’à ce temps-ci, non en permanence, mais pour les grandes occasions, la levée en masse (insurrectio) des nobles. En règle générale, les nobles n’étaient point astreints au service militaire Dans les crises, à l’époque des guerres contre la France par exemple, l’Autriche avait eu plusieurs fois recours à l’antique loi féodale de l’Insurrection des nobles, sans jamais en tirer toutefois beaucoup plus de vingt mille, hommes, et, si j’en crois le discours d’un député magyar du parti libéral, l’insurrection n’aurait jamais fait merveille.

À côté de ces élémens de force qu’au cœur même du pays la domesticité et la noblesse offraient à la révolution, il en existait un autre, qui eût été bien autrement fécond, s’il eût été donné aux Magyars de s’en emparer : je veux parler de l’armée elle-même, divisée en deux catégories. D’abord il y avait les régimens réguliers que l’Autriche lève chaque année, et qui suivent les vicissitudes ordinaires du casernement, quelquefois dans le royaume, bien plus souvent au dehors. En second lieu, on rencontrait les belliqueuses colonies militaires établies sur le sol même, et qui forment, sur la zone de la frontière du sud, comme des gardes nationales en service permanent. Le royaume de Hongrie, avec ses armées, se vante de pouvoir mettre sur pied deux cent mille hommes de troupes régulières. Oui, sans doute, la Hongrie ; mais la Hongrie, c’est un état de douze millions d’hommes dans lequel les Magyars ne comptent que pour un tiers. Parmi les colonies militaires, sur cinq, les Magyars n’en forment pas la valeur d’une seule qui soit purement de leur race. L’une est valaque, les autres sont croates. Enfin, les régimens que l’on désigne sous le nom de Hongrois, et qui vont chaque année servir sous les drapeaux de l’Autriche, sont magyars tout justement dans la même proportion que le royaume de Hongrie.

Lorsque les patriotes proposèrent de faire appel aux soldats des colonies de la frontière et aux régimens hongrois occupés en Italie, on eut donc le droit de leur dire : Vous faites un métier de dupes ; vous les attendrez long-temps, ou ils n’accourront que pour tirer sur vous de très bon cœur. Le gouvernement magyar en fut réduit à suivre les lois de la nécessité et les conseils des circonstances. Quand la révolution éclata à Bude-Pesth, la plus profonde anarchie régnait dans la direction des affaires militaires de Vienne. Il y eut des régimens de toute