— Faites valoir vos droits, monsieur ; ce n’est pas à nous qu’il appartient de les juger. Permettez-moi cependant d’éprouver quelque surprise en vous écoutant. Les principes que vous professez, votre apostolat, annonçaient un peu plus de désintéressement.
— Nous ne sommes plus au temps, reprit Timoléon, où les apôtres marchaient pieds nus à la conquête du monde. Aujourd’hui l’or est un levier, et je manquerais à mon apostolat en ne réclamant pas la richesse qui m’appartient.
En ce moment, la porte du salon s’ouvrit, et M. Levrault entra, pâle, houle versé, une lettre à la main.
— Je suis ruiné ! s’écria-t-il,
— Ruiné ! s’écrièrent à la fois Timoléon, Laure et la marquise.
— Ruiné, ruiné sans ressources ! reprit M. Levrault en se laissant tomber dans un fauteuil.
— Eh bien ! monsieur, lui dit Gaston sans s’émouvoir, reprenez la dot de votre fille.
— La dot de ma fille ? répondit M. Levrault. Lisez vous-même la nouvelle qui m’arrive à l’instant.
La dot de Laure venait d’être engloutie dans une faillite.
— Il ne me reste plus, continua-t-il, qu’à vous offrir l’hospitalité dans le château Levrault.
— Et mes cent mille écus ! cria Timoléon d’une voix de stentor. Mort et damnation ! Le destin s’acharne donc contre moi. Couler en vue du port ! Ruiné avant d’avoir joui de rien !… Mais vous ne parlez pas sérieusement, vous n’êtes pas ruiné de fond en comble : il vous reste bien quelque chose ?
— Il me reste, en Bretagne, un château lézardé où je vous offre à tous un asile.
— Moi, vous suivre en Bretagne ! moi, vivre dans un repaire d’aristocrates ! Jamais, s’écria Timoléon. Solon Marche-toujours va se remettre en route. Puisque vous n’avez pas cent mille écus à me donner pour enseigner pacifiquement la vérité sociale, à la grâce de Dieu ! je reprends mon fusil ; j’aurai toujours une place à la table et sous le toit de mes frères.
Huit jours après, Laure et Gaston, M. Levrault et la marquise partaient tous quatre dans la diligence Laffitte et Caillard. Laure n’avait plus le titre qu’elle avait payé de sa dot ; Gaston n’avait plus la richesse qu’il avait payé de son nom.
(La dernière partie au prochain n°.)