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bord mettra sur sa tête la couronne de saint Louis ; un accident heureux nous débarrassera, je l’espère, de ce drôle de Timoléon, et la fortune de mon fils nous permettra de faire assez bonne figure à la cour.

Assis au coin du feu, Gaston tisonnait en silence. Laure et Timoléon se querellaient. Timoléon, le matin même, avait été reçu pour la première fois par sa sœur. L’opulence seigneuriale de cette demeure avait excité sa jalousie. Il avait visité les écuries, les remises de Gaston, et s’était demandé, en rentrant chez lui, pourquoi il ne mènerait pas à son tour la vie que menait son beau-frère. Déjà cent mille écus ne lui suffisaient plus.

— Mon père, disait-il, se fait vraiment bien prier pour me donner trois cent mille francs. Pourtant il ne faut pas croire que je le tienne quitte à si bon marché. J’ai réfléchi sur ma position. Depuis vingt-sept ans, je n’ai rien coûté à mon père. Je ne réclame rien pour les arrérages ; je ne suis pas exigeant. Qu’il me donne seulement ce qu’il m’aurait donné à ma majorité, si la Providence, qui avait ses vue sur moi, ne m’eût pas séparé de ma famille.

— N’êtes-vous pas trop heureux, disait Laure, hébergé comme vous êtes ici, après la vie errante que vous avez menée ? Ne devez-vous pas rendre grâce à Dieu d’avoir enfin trouvé un asile calme et sûr ? Je vous conseille de vous plaindre. Que vous manque-t-il ? Quel souhait pouvez-vous former qui ne soit aussitôt accompli ?

— Mon Dieu ! reprit Timoléon, mes vœux sont bien modestes. Vous avez eu en dot un million ; que mon père me donne cinq cent mille francs, et à sa mort nous compterons ensemble.

À ces mots, la marquise dressa l’oreille.

— Cinq cent mille francs, sauf à compter plus tard ! Cinq cent mille francs pour un apôtre ! M. Levrault, que vous appelez votre père, ne sera pas assez fou pour vous les compter. Qui nous prouve, après tout, que vous êtes son fils ? Vous avez sur la poitrine une tache écarlate ; est-ce là une preuve sans réplique ? Le premier aventurier venu ne peut-il pas en montrer autant ?

— Que parlez-vous d’aventurier ? s’écria Timoléon rouge de colère. Oui, ma vie a été une vie de périls et d’aventures ; mais je n’ai rien à cacher dans le passé, je peux raconter ce que j’ai fait jour par jour. Je suis ici chez moi, et quand je réclame la moitié de ce que ma sœur a reçu en dot, qui donc osera m’accuser de cupidité ? Puisqu’on le prend avec moi sur ce ton-là, je ne céderai pas un pouce de mes prétentions. Je veux cinq cent mille francs, je les aurai, et plus tard je compterai avec ma sœur.

— Allons donc ! interrompit la marquise avec dédain.

— Ma mère, brisons là, dit Gaston.

Et se tournant vers Timoléon :