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n’est pas sans raison que mes frères m’ont surnommé Marche-toujours. La révolution de février n’est qu’une étape dans la marche de l’humanité. Les peureux et les aveugles veulent déjà faire halte ; je vais me remettre en marche comme un pionnier infatigable, et tailler sans pitié les broussailles qui nous arrêtent.

— La république n’est donc pas votre dernier mot ? interrompit M. Levrault.

— Le dernier mot ne sera trouvé que par le dernier homme. La république est fondée, il faut la renverser. Je suis, je me proclame hautement l’ennemi de tout ce qui est, car je pressens ce qui sera.

— Et que pressentez-vous ? demanda M. Levrault pâlissant.

— Je pressens un avenir magnifique ! s’écria Solon se levant avec enthousiasme.

— Quel avenir ?

— Vous me demandez la vérité sociale ; êtes-vous préparé, je ne dis pas à la comprendre, mais à l’entendre seulement ? La pleine intelligence de la vérité sociale, poursuivit Solon avec gravité, n’appartient qu’aux hommes nourris de la moelle des lions et des ours ; mais je manquerais à mon apostolat en refusant de vous éclairer. Vous voulez la lumière : ouvrez donc les yeux, dût la lumière vous éblouir. Oui, je pressens un avenir magnifique ; mais combien sera laborieuse la conquète du monde nouveau ! Que de sang, que de ruines, avant de toucher la terre promise ! Toute l’histoire du passé n’est qu’un jeu d’enfans, comparée aux batailles que l’humanité devra livrer pour se saisir de cette nouvelle toison d’or, défendue par deux dragons jaloux, l’aristocratie et la bourgeoisie.

— Du sang et des ruines ! s’écria M. Levrault éperdu. Que reste-t-ii debout ? Tout n’est-il pas renversé, aristocratie et bourgeoisie ? Ne sommes-nous pas tous frères ?

— Je vois encore debout bien des sottises déifiées, adorées par la foule ignorante. Tant qu’elles ne seront pas détrônées, livrées aux flammes, jetées au vent comme une poussière inutile, on ne doit pas songer au règne de la vérité sociale. Il faut en finir avec les préjugés qui emmaillottent l’humanité : la propriété, l’héritage, la famille, ont fait leur temps.

— La propriété, l’héritage, la famille ! Vous voulez donc la ruine universelle ?

— Vous l’avez-dit, citoyen, répliqua Solon avec autorité, je veux la ruine universelle. Qu’est-ce que la propriété ? une insulte à l’indigence. Qu’est-ce que l’héritage ? une insulte à la justice. Qu’est-ce que la famille ? une insulte aux enfans trouvés.

— J’aurais cru pourtant, dit M. Levrault d’une voix timide, que la famille avait du bon ?