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tranché la difficulté. J’ai son affaire, m’a-t-il dit en se frappant le front. Pour un esprit hors ligne comme le sien, je crée une mission exceptionnelle, une mission sans précédens. La France a reconquis les dépouilles de Napoléon ; elle doit à son honneur et à sa dignité de reconquérir les dépouilles de Charlemagne.

— Les dépouilles de Charlemagne ! interrompit Levrault ébahi.

— La France de février, m’a dit le ministre dont l’œil s’enflammait, ne renie pas le passé, ne s’effraie pas du souvenir des rois, et tient Charlemagne pour un galant homme. La Prusse, que nous avons tant de fois vaincue, garde encore à Aix-la-Chapelle la tête de Charlemagne, enchâssée dans l’or, comme une sainte relique, par Frédéric Barberousse. La France ne peut voir à ses portes un pareil trésor sans étendre la main pour le ressaisir. Un patriote éprouvé peut seul parler en son nom, revendiquer ses droits, et j’ai jeté les yeux sur le citoyen Guillaume Levrault.

— Ainsi, demanda M. Levrault, je rapporterai en France la tête de Charlemagne ?

— Oui, citoyen, j’ai cru pouvoir répondre de votre acceptation ; me suis-je trompé ?

— J’accepte avec reconnaissance, reprit M. Levrault en balbutiant.

— Je dois maintenant vous expliquer toute la gravité des fonctions qui vous sont confiées. Le ministre vous charge d’une tâche difficile ; mais, si vous l’accomplissez dignement, et, pour ma part, je n’en doute pas, votre nom est assuré de passer à la postérité la plus reculée. Les ambassades de Londres, de Vienne et de Saint-Pétersbourg ne peuvent, sous aucun rapport, se comparer à la mission que vous acceptez. Ce n’est pas ici une affaire ordinaire, ne vous y trompez pas. Réussissez, et la France reprend en Europe le rang qui lui appartient. Parlez fièrement le langage du droit, de la vérité ; forcez la Prusse à nous rendre la tête de Charlemagne, dans trois mois nous aurons reconquis nos frontières du Rhin, et la France reconnaissante vous saluera comme un libérateur, car vous aurez déchiré les traités de 1815. Ressaisir la tête de Charlemagne et la déposer sous le dôme des Invalides à côté de Napoléon, c’est dire à l’Europe que nous n’acceptons pas le partage qui s’est fait au congrès de Vienne, et, si nous consentons à ne pas réclamer toutes nos conquêtes, l’Europe devra nous savoir gré de notre modération.

— Ainsi, reprit M. Levrault en ouvrant de grands yeux, je déchirerai les traités de 1815 ! Mais si la Prusse me refuse la tête de Charlemagne ?

— Elle ne l’osera pas ; vous parlerez au nom de la France. Le cabinet de Berlin verra derrière vous cent mille baïonnettes, et votre voix sera écoutée. Votre mission est d’autant plus glorieuse, qu’elle n’est pas