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Le jour se levait à peine que déjà M. Levrault était sur pied. En entrant chez Jolibois, il trouva l’antichambre et le salon peuplés de solliciteurs. Un valet vint lui demander son nom ; après une heure d’attente, il fut enfin admis dans le cabinet de maître Jolibois.

— Mon cher monsieur Levrault, lui dit le commissaire-général, mes momens sont comptés. Allons au fait ; dites-moi en deux mots ce que vous désirez.

— J’ai songé toute la nuit à notre conversation d’hier. Je suis décidé à servir la république, et je viens vous prier de parler pour moi. Je n’ai rien demandé sous le gouvernement déchu ; j’étais loin d’approuver sans réserve sa politique. Si vous n’êtes pas mon gendre, c’est que ma fille ne l’a pas voulu. J’aurais été heureux et fier de vous nommer mon fils. Je retrouvais en vous mon cher Timoléon. Votre foi politique est la mienne ; la république a toutes mes sympathies, elle répond à toutes mes espérances. Mon bonheur sera de lui dévouer ma fortune et ma vie.

— Vous avez là, mon cher monsieur Levrault, d’excellens sentimens ; mais quels sont vos titres pour entrer au service de la république ? Voyons : avez-vous été en prison ? avez-vous conspiré ? étiez-vous lié d’amitié avec les sergens de La Rochelle ? avez-vous combattu au cloître Saint-Merry ? avez-vous juré sur un poignard la mort de tous les rois ?

M. Levrault demeura abasourdi sous cette avalanche de questions.

— Vous comprenez, poursuivit maître Jolibois, qui jouissait de son embarras, que la république, avant de vous confier le soin de ses intérêts, doit exiger de vous des garanties. Avez-vous souffert pour notre sainte cause ?

— Hélas ! répondit M. Levrault d’un ton consterné, je n’ai jamais souffert ni combattu pour la république, mais je suis résolu à la servir.

— Je sais quelle a été votre conduite depuis la chute du tyran. Vous avez recueilli chez vous un blessé, vous l’avez soigné ; c’est bien, mais ce n’est pas assez. Je n’ai pas vu votre nom sur la liste des dons patriotiques. Est-ce que par hasard vous n’auriez pas souscrit pour les blessés de février ?

— Pas encore, balbutia M. Levrault avec confusion.

— Si vous voulez, mon cher monsieur Levrault, que je parle pour vous, il faut absolument que votre nom figure demain dans le Moniteur, qu’il figure au premier rang sur la liste des dons patriotiques et dans la souscription pour les blessés de février. Vous avez beaucoup à vous faire pardonner, ne l’oubliez pas. Vous habitez le faubourg Saint-Germain, vous êtes allié aux La Rochelandier, vous vous êtes enrichi de la sueur de vos commis. Vous sentez qu’il est temps de rendre au peuple une part de ce que vous lui avez pris.