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SACS ET PARCHEMINS.

À cette révélation inattendue, Mlle Levrault tressaillit. Presque au même instant, le galop d’un cheval s’arrêta dans la cour, et, au bout de quelques secondes, un beau jeune homme entra dans le salon. Son visage était doux et fier. L’intelligence rayonnait sur son front, qu’encadraient négligemment des touffes de cheveux blond cendré. Bien qu’il fût au printemps de la vie, son regard triste et son air souffrant accusaient de secrets ennuis. Grand, mince, élancé, il était vêtu avec une élégante simplicité et paraissait avoir vingt-cinq ans au plus. Laure, en l’apercevant, comprit enfin le sens et la moralité des fables de Montflanquin. Ce fut pour elle comme un flot de lumière éclairant tout d’un coup les ténèbres du chemin du diable. Gaston n’avait eu qu’à se montrer pour dévoiler Gaspard. Il s’inclina gravement devant la jeune fille, et baisa la main de la marquise avec une tendresse mêlée de respect.

— Gaston, dit la marquise, vous ne comptiez pas trouver, en rentrant, une si jolie fleur épanouie entre nos vieux murs. Remerciez le hasard qui vous a ménagé cette agréable surprise. Mlle Levrault veut bien vous permettre de l’accompagner jusqu’à la Trélade. Si vous voyez M. Levrault, vous lui ferez mes complimens.

Gaston, qui connaissait tout l’orgueil de sa mère, jeta sur elle un regard curieux ; puis, se remettant aussitôt :

— Mademoiselle, je suis à vos ordres. Mon cheval est encore tout sellé et bridé ; nous partirons dès que vous le voudrez.

Mlle Levrault fit tous ses efforts pour épargner cette corvée au jeune marquis. Si on l’eût prise au mot, je crois qu’elle eût été un peu désappointée. Heureusement, il n’en fut rien, et la marquise insista tellement que Laure dut finir par céder. Gaston, par politesse, n’avait pas cru pouvoir se dispenser de joindre ses instances à celles de sa mère. Mme de La Rochelandier les accompagna jusqu’au pied du perron, les vit monter à cheval, les suivit des yeux à travers la vallée et ne rentra qu’après qu’ils eurent disparu dans les profondeurs du sentier. Elle avait, en rentrant, l’air satisfait d’une personne qui n’a pas perdu sa journée.

Certes, un poète, ou tout simplement un rêveur qui eût aperçu ces deux enfans chevauchant côte à côte le long des traînes, sous le ciel embaumé des prairies, n’eût pas manqué de s’écrier : Voilà deux amoureux qui passent. Et peut-être son cœur se fût abîmé dans la mélancolie d’un lointain souvenir. Moi-même, si j’étais libre d’obéir à ma fantaisie, je dirais que ces deux jeunes gens en arrivèrent doucement à se sentir attirés l’un vers l’autre, j’essaierais de retrouver les accens de la jeunesse pour chanter le doux poème des tendresses écloses à l’ombre des bois, sur le bord des ruisseaux, dans le creux des vallons.