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Que l’on se rappelle un moment dans quelle situation lamentable les événemens de mars surprenaient cette province, et par quelle suite de calamités elle avait été conduite à l’abîme où elle se débattait sans espoir. L’Autriche, en prenant possession de ce pays, avait découvert du premier coup d’œil dans la féodalité combinée avec la bureaucratie les élémens du système administratif dont elle gratifia la Gallicie : ce système consistait principalement à laisser aux mains de la noblesse les privilèges onéreux et peu populaires du recrutement, de la levée des impôts et de la justice seigneuriale, en plaçant les tribunaux d’appel dans les attributions de l’autorité allemande. Le gouvernement avait donc le moyen de s’effacer derrière la noblesse dans l’exercice de toutes les fonctions par lesquelles le pouvoir pèse sur les peuples, il avait tout combiné de manière à se retrancher dans un rôle de médiateur, qui, pris à propos entre les paysans et les seigneurs terriens, lui donnait l’apparence d’une grande sympathie pour la classe opprimée. L’Autriche avait d’ailleurs eu soin, comme la Prusse, d’enlever aux Polonais toute action dans les affaires de leur pays. Si elle leur avait laissé une ombre de diète provinciale, ce n’était qu’une sorte d’ironie pour leur mieux faire sentir combien ils étaient impuissans. Mêlez les sentimens personnels du bureaucrate allemand et du Juif à ces monstruosités administratives, vous concevrez ce que put être, dès le lendemain du démembrement, la domination de l’Autriche en Gallicie.

La noblesse n’avait pas tardé à comprendre que la législation nouvelle allumait la haine dans le cœur des paysans et faisait pencher leurs sympathies du côté du gouvernement impérial ; mais la noblesse osait vainement solliciter une réforme des lois administratives et l’abolition des corvées, si grand que fût pour elle ce sacrifice. L’organisation sociale de la Gallicie servait trop bien, par ses seuls effets, les desseins du cabinet de Vienne, elle réussissait trop parfaitement à paralyser tout mouvement national en rendant l’accord impossible entre les deux classes, pour que l’on pût songer à la modifier. Quelques jours avant la conspiration de 1846, l’archiduc gouverneur Ferdinand d’Este écrivait à Vienne. « Le pays est agité ; un mouvement semble se préparer, les esprits sont inquiets. Cependant le gouvernement peut être tranquille, je n’ai besoin d’aucun renfort, car toutes les mesures sont prises, en cas d’insurrection, pour paralyser le mouvement sans compromettre les troupes. » Ces confidences signifient-elles que le gouvernement autrichien prévit les massacres qui devaient quelques jours plus tard épouvanter la Gallicie ? Non peut-être ; mais cela signifie du moins qu’en présence de la folle conspiration conçue, comme l’on sait, par les radicaux de l’émigration, l’autorité comptait sur le désaccord et au besoin sur les haines qu’une longue lutte d’intérêts avait semées entre le paysan corvéable et la propriété seigneuriale ; en un mot, la