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conforme aux vœux de l’Europe. Ce principe avait même reçu une sorte de sanction dans le choix du prince Radziwil pour gouverneur ou vice-roi national de la Poznanie ; mais à la mort de ce prince l’institution disparut avec lui, et le duché se vit ainsi placé sur le pied des provinces allemandes de la monarchie.

Une atteinte plus rude peut-être que toutes les autres avait été portée à la nationalité par les changemens introduits ex abrupto dans les conditions de la propriété. Le gouvernement disposa en faveur des paysans des terres qu’ils cultivaient à titre de fermiers héréditaires. Certes, cette mesure était juste en elle-même : c’était le malheur de la Pologne de n’avoir point pris les devans ; mais, grace aux circonstances, la mesure n’en causait pas moins un grave préjudice à la nationalité : elle frappait la fortune de la noblesse et du clergé, qui étaient les gardiens éclairés du patriotisme. D’ailleurs (et c’était là un inconvénient grave), mobiliser la propriété des paysans, peu accoutumés à la prévoyance, c’était offrir aux colons allemands le moyen de se substituer insensiblement à ces petits cultivateurs. Le paysan devenu propriétaire vendait volontiers, soit pour essayer d’une autre existence, soit, par force, pour acquitter les dettes promptement contractées, et tombait de la sujétion dans le prolétariat. Le colon allemand, au contraire, envahissait, envahissait toujours. Ainsi un élément germanique d’une grande activité s’enracinait au sein de la race polonaise en Poznanie, et, menaçait, avec l’aide du temps, de la ronger au cœur.

Tant de blessures faites à la Poznanie ne pouvaient être guéries que par une administration polonaise et le rétablissement des institutions nationales. Le décret royal du 24 mars 1848, qui ordonnait la réorganisation du duché, comblait à cet égard les plus pressans d’entre les vœux des Poznaniens. Toute la question était de savoir comment et dans quelle limite la Prusse avait l’intention de tenir ses promesses.

Les fonctionnaires allemands, si directement intéressés à maintenir l’ancien ordre de choses, ne pouvaient voir sans inquiétude les progrès de ce grand mouvement qui ébranlait par sa base leur existence même ; ils prirent l’initiative d’une contre-agitation germanique sitôt que le premier moment de stupeur fut passé. L’armée inaccessible à l’esprit du jour et aux entraînemens de l’opinion, embrassa la cause des fonctionnaires ; les comités allemands et l’armée allemande se laissèrent aller à des provocations fâcheuses ; les Juifs s’en firent les agens ; des cocardes et des drapeaux polonais furent enlevés et insultés dans plusieurs villages. La Russie, de son côté, effrayée de l’ébranlement que la révolution avait imprimé à l’Europe et de la tournure menaçante que prenaient les affaires de Pologne, avait, dans l’intervalle, adressé au cabinet de Berlin les remontrances les plus amicales par un envoyé extraordinaire, le général de Berg. C’était plus qu’il