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jamais perdue, car ils n’avaient eu d’action jusqu’alors en Pologne que par la négligence des conservateurs à s’unir. Sans doute cette union eût été pour le pays une force nouvelle, un moyen puissante. Pour les radicaux, c’était l’intérêt du parti qui passe avant celui du pays ; périsse la patrie plutôt qu’un principe, dût le principe être faux ! On les vit donc accourir de Posen et de la Gallicie, où ils s’étaient déjà abattus par volées. Ils demandèrent à grand bruit à être admis. Repoussés, ils s’emportèrent. Bien qu’aucune partie de l’émigration ne fût officiellement représentée à Breslau, ils accusèrent les conservateurs d’être des agens du parti monarchiste, qui pourtant n’existait plus depuis la dissolution de la Société du 3 mai.

En présence de cette invasion de multitudes tapageuses, arrogantes, préoccupées de se faire accepter ou de tout arrêter, le congrès devint bientôt impossible. Le radicalisme, qui avait dans l’émigration refusé de se fondre avec les conservateurs, en un parti national, portait ainsi le dernier coup à cette patriotique tentative renouvelée en grand sur le sol de la Pologne. Les conservateurs venus de la Gallicie et de Posen furent obligés de rentrer dans leurs foyers sans avoir arrêté aucune mesure commune. Ils n’avaient plus qu’à reprendre, en sous-œuvre, chacun chez soi, la pensée qui les avait conduits à Breslau, et déjà les événemens étaient trop avancés à Posen et en Gallicie pour que la prudence fît tout le bien qu’elle aurait pu accomplir, en disciplinant plus tôt les forces conservatrices de la nation. Les deux principes qui s’étaient développés depuis 1831 dans le sein de la société polonaise, ou, pour mieux dire, dans l’émigration, se trouvaient donc en lutte, dès qu’il s’agissait, de tracer un programme aux populations et de formuler des vœux en présence de l’Allemagne, de la Russie et de l’Europe. À Posen et en Gallicie, les mêmes tiraillemens se reproduisent. Les conservateurs veulent le progrès régulier des institutions nouvelles, ils le veulent avec la patience d’esprits éclairés qui savent bien que les réformes ne s’accomplissent point en un jour comme les révolutions ; ils le veulent surtout, parce qu’en se plaçant sur ce terrain, ils éloignent d’eux toute apparence de conspiration et évitent de provoquer les cabinets ou de réveiller les passions du germanisme. Les radicaux au contraire, toujours animés de sentimens belliqueux, toujours prêts à trancher les difficultés à la façon d’Alexandre sans se demander s’ils ont son épée, ne savent prononcer que les mots d’insurrection et de guerre au premier obstacle qui les retarde ; et comme les gouvernemens auxquels ils s’en prennent ont la supériorité de la force organisée, faire un appel aux armes, c’est chercher à être battus à coup sûr, tout en donnant prétexte aux réactions ; c’est risquer follement à la fois la nationalité et la liberté. La Prusse et l’Autriche ont trop profité des commises par l’imprudence des radicaux