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rêvé rien de semblable aux occasions que la fortune leur offrait. Le cri de vive la Polgne ! n’avait-il pas retenti dans nos rues ? Les échos du Rhin ne l’avaient-ils pas répété ? ne s’était-il pas prolongé jusqu’à la Vistule ? Les hommes qui passaient pour avoir embrassé le plus chaudement l’intérêt de la Pologne étaient au pouvoir chez nous, comme à Berlin. À Vienne enfin, ces Slaves que l’émigration avait entourés de tant de caresses étaient écoutés et puissans ; peut-être demain allaient-ils devenir les maîtres.

Je voudrais montrer comment et pourquoi des conjonctures en apparence si favorables n’ont pas tenu tout ce qu’elles promettaient. L’émigration cesse de ce moment d’être le principal acteur dans ces vicissitudes nouvelles. La Pologne russe continue, il est vrai, de souffrir dans le mystère ; ses vœux restent voilés, quoique l’on sente, pour ainsi dire, les pulsations de son cœur ; mais, si cette portion la plus vaste et la plus généreuse de la Pologne est encore condamnée à l’immobilité jusque dans l’ébranlement général de l’Europe, les deux grandes provinces de Posen et de Gallicie, profitant des libertés conquises à Berlin et à Vienne, saisissent avec ardeur le rôle qui leur est offert. Le pays n’agit plus seulement par les émigrés et les conspirations ; il agit directement par lui-même, et prend avec résolution la responsabilité de ses destinées. — Quelles idées ces hommes si long-temps déshérités de toute institution libre apportent-ils dans les affaires ? de quelle manière entendront-ils l’intérêt, de la Pologne parmi tant d’autres intérêts qui le secondent ou l’entravent ? — Si Posen et la Gallicie, malgré un grand fonds de bon sens et des tendances conservatrices incontestables, n’ont point évité toute faute, si parfois les populations ont semblé égarées par les conseil du radicalisme, c’est que la partie turbulente de l’émigration a su s’introduire parmi les conservateurs des deux provinces, se glisser au milieu de leurs délibérations et les détourner de leur but. Les obstacles inattendus que les Polonais ont rencontrés lorsqu’ils ont voulu pacifiquement constituer les libertés que les gouvernemens de Berlin et de Vienne leur avaient promises expliquent d’ailleurs qu’ils aient pu ressentir quelque actes de désespoir, et qu’ils se soient trompés par des impatiences de patriotisme.


I

La Pologne, dès le lendemain des révolutions de Berlin et de Vienne, se trouvait aux prises avec la Prusse et l’Autriche, avec la race allemande tout entière, qui voit en elles les deux formes de son développement historique et de sa pensée dans le temps présent. Cette lutte avec l’Allemagne est la première phase de l’histoire des Polonais depuis