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de fer de Bristol ; je n’ai pas couru à votre logis, parce que j’étais sûr de ne pas vous y rencontrer. Quoique depuis un mois vous ne vous montriez plus à Covent-Garden, j’ai pensé que je vous y trouverais peut-être, mais je ne vous ai pas découvert, et, comme j’étais las, je ne suis pas resté au théâtre…

— De sorte, dit William, dont une terrible pensée venait de traverser soudain l’esprit, que vous n’avez appris à personne, hier au soir, le changement de mon destin.

— Ah ! si fait, reprit Lionel, j’ai vu miss Jane pendant un entr’acte.

Une effrayante expression de douleur se peignit sur les traits de William ; sa tête s’inclina sur sa poitrine, il sembla près de se trouver mal.

— Bien certainement, se dit Lionel en lui-même, c’est ma nouvelle qui agit sur lui de cette étrange façon. Ah ! fortune, de quel amour on t’aime !

De quel amour William aimait miss Jane !


VII

Ainsi tout le bonheur de la veille était maintenant corrompu. Dans ces tendresses qui faisaient fondre son cœur, dans ces baisers qui mettaient la flamme en ses veines, il n’y avait que mensonge. Pas un seul n’était vrai de ces élans qui l’avaient porté au ciel. Il avait eu entre ses bras une créature froide, intéressée, maîtresse d’elle-même, calculant le prix de chacune des caresses dont elle l’enivrait. Il eut envie de ne pas la revoir ; plus cet ardent et adoré visage, tel qu’il l’avait vu dans les heures amoureuses, revint à son esprit et l’attira avec une incroyable puissance. Quelques instans après la visite de Lionel, William se rendait chez miss Jane.

Quand son amant entra chez elle, la comédienne était couchée sur un divan, les joues pâles, les yeux animés et les lèvres vermeilles, vêtue d’une longue robe du matin en velours noir, qui laissait voir tous les mouvemens et tous les contours de son corps. Elle tendit la main à William. Elle avait une de ces petites mains féminines, animées d’un fluide mystérieux, qui ne peuvent s’appuyer sur les vôtres sans vous jeter dans un étrange état de frisson. William mit, sur les doigts de Jane un baiser enflammé et rapide ; puis il s’éloigna d’elle en passant la main sur son front, et se prit à la regarder avec une tristesse mêlée de peur.

Qu’avez-vous à me, regarder ainsi, William ? dit-elle, que se passe-t-il en vous ?

— Jane, fit William, pourquoi ne me donnez-vous pas ce matin le