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fit parcourir un long frisson dans tout le corps de William, j’était désolée. – Puis elle fit asseoir Simpton à côté d’elle, et comme au bout d’une demi-heure, voyant que la foule ne désemplissait pas sa loge, il voulait s’en aller : — Ne vous découragez point, lui dit-elle à l’oreille ; restez, je veux que nous soyons seuls.

William se dit qu’il était sans doute couché au bord de la mer, qu’il faisait un bon rêve, et il resta. En effet, tous les adorateurs de miss Jane, voyant que ce soir-là il n’y avait rien à espérer pour eux, se retirèrent les uns après les autres, et William resta seul avec la comédienne. Alors miss Jane garda le silence.

— Qu’avez-vous à me dire ? lui dit William.

— Moi ? rien ! répondit miss Jane d’un ton triste et comme perdue en un songe.

— Mais, Dieu me pardonne, miss je crois voir une larme sur votre joue ?

— Non, je ne pleure pas.

— Si, vous pleurez ; Jane, vous pleurez !

— William, fit-elle d’une voix ardente, sa joue contre celle de Simpton, c’est que je vous aime !

William poussa un cri et lissa tomber sa tête sur les genoux de la comédienne, fondant en larmes à son tour, en vraies larmes.

Le lendemain matin, à dix heures, il regagnait son logis, où la veille il n’était pas rentré, après une de ces nuits couronnées de roses brûlantes qui valent pour les ames amoureuses ce que valent les journées aux couronnes de lauriers pour les ames de conquérans. Il s’était laissé tomber sur un sofa dans un coin de son atelier, et depuis une heure il goûtait un sommeil plein d’enchantement, quand on lui annonça la visite du duc Lionel de Norforth.

— Ah ! ah ! fit Lionel en l’abordant, je trouble dans un sommeil qui lui était probablement fort nécessaire monsieur le marquis.

— Monsieur le marquis ! que signifie ce mot, monsieur le duc ? répondit William, qui ne se croyait pas assez lié avec Lionel pour lui laisser prendre ce ton de plaisanterie.

— Cela signifie que j’ai l’honneur de parler au lord marquis du Colbridge. Hier matin, votre oncle le marquis de Colbridge et ses deux fils ont voulu faire une promenade en pleine mer, malgré tout ce qu’on a pu leur dire sur l’incertitude du temps et le danger des côtes. La petite embarcation qu’ils montaient portait non point leur fortune, mais la vôtre. Maintenant leurs corps sont à l’océan, leurs ames à Dieu, et leurs biens à vous. Comme j’étais en ce moment à leur château, où l’on venait d’organiser de grandes chasses, je me suis chargé d’aller vous annoncer la catastrophe qui vous fait pair d’Angleterre et l’un des plus riches particuliers de l’Europe. Je suis arrivé hier soir par le chemin