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bal d’ambassadeur. Il revenait haut cravaté et ganté exactement, dans toute la sévérité, toute la raideur d’une tenue officielle. William lui trouva cet air indéfinissable, portant à la pitié et au sourire, que les amans trouvent aux maris quand ils les voient rentrer au gîte conjugal à la fin de certaines soirées. Damville n’était cependant pas le mari, et William surtout était encore bien loin d’être l’amant de miss Jane.


V

Le lendemain, William Simpton, au moment où il quittait son logis pour se rendre chez miss Jane reçut le billet, que voici : « Ne venez point à midi, cher monsieur, je suis obligée de sortir dans la matin avec lord Damville ; mais soyez assez aimable pour venir à six heures me demander à dîner. Vous vous trouverez avec quelques hommes distingués, qui me sauront un gré infini de les avoir réunis à vous. »

Il n’est pas un mot de cette lettre qui ne mît William en fureur. À l’instant où il se croyait emporté avec miss Jane dans le monde excentrique et passionné de l’amour le voilà qui retombait dans les plus glaciales et les plus banales régions de la politesse. À la place d’un entretien ardent et solitaire, on lui offrait une réunion avec des hommes distingués ! Ces derniers mots surtout lui causaient des transports de rage. — Non, se dit-il, je n’irai pas à son exécrable dîner !

À six heures moins un quart, il se dirigeait vers la demeure de l’actrice. Il allait la voir au moins, et lire peut-être sur ses traits l’explication de son étrange conduite. Enfin il vivrait, car, à l’âge qu’avait alors William, on a beau être guerrier ou artiste, ambitionner une grande place parmi les hommes, c’est par les femmes surtout que l’on vit. Dans l’élégant salon où fut introduit William, lord Damville et le duc de Norforth étaient installés déjà : c’étaient deux de ces convives distingués que miss Jane avait promis à Simpton. La maîtresse du lieu avait pris ses airs les plus convenables : elle parlait d’un ton mesuré et ne se permettait que des demi-sourires. Sous tous ces airs réservés, sa beauté avait quelque chose de brûlant. Elle était vêtue à l’espagnole avec un voile noir sur ses cheveux blonds, une rose rouge, couleur des amours sanglantes, jetée dans ses lumineuses boucles. Ses épaules, au milieu des garnitures de dentelle, étaient plus attrayantes et chargées d’ivresse que le vin de Chypre dans une coupe romaine. Elle répandait autour d’elle la chaleur et le frisson.

Après Simpton arrivèrent encore deux convives. L’un était un ambassadeur autrichien, le prince de Nipperg. Le père du prince avait été l’un des grands seigneurs les plus spirituels du siècle dernier. Malheureusement trop prodigue de son esprit, il n’en avait rien laissé à son fils. L’autre était le duc de Penarez, grand d’Espagne de première classe, possesseur d’une immense fortune et plongé dans un auguste