Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/948

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas adressé une parole flatteuse sur sa statuette, qui avait dû être la veille, chez elle, l’objet de tous les propos. Il lui semblait qu’il y avait là une conduite arrêtée, dont il voulait avoir le secret. Enfin, pour maintes raisons, et pour celle-là surtout que miss Jane, dans sa frivolité, était aussi charmante que dans sa gravité ou dans son enthousiasme, il restait.

Le beau Lionel et ses amis avaient, ce soir-là, un souper chez un petit prince allemand détrôné, qui se consolait de sa destinée en buvant du vin de Champagne, et se vengeait de l’humanité en faisant des dettes. Ils se retirèrent d’assez bonne heure William resta seul avec miss Jane.

Quand il n’y eut plus que William auprès d’elle, quand le silence eut succédé au bruit qui remplissait sa loge, la comédienne inclina a tête sur sa poitrine dans une attitude de songerie profonde, montrant aux regards enflammés de Simpton, dans le mouvement le plus attrayant, dans la plus gracieuse des lignes courbes, un cou blanc sur lequel se jouaient, dans une chaude lumière, quelques cheveux échappés au peigne ; puis tout à coup elle releva le front, fixa sur William un regard éblouissant et d’une expression toute nouvelle, non plus le regard d’une femme mondaine et coquette, mais celui de la muse de Shakspeare, telle que l’aurait peinte Raphaël. Elle se leva, et, se dirigeant vers Simpton :

— Vous ayez du génie, lui dit-elle ; votre statue est un chef-d’œuvre ! Hier, toute la journée, je l’ai regardée, et j’ai admiré. Je ne sais pas comment tous ces sots qui étaient là tout à l’heure peuvent m’aimer, car ils ne me connaissent pas. Vous seul vous m’avez vue telle que je suis, telle que je veux être. Laissez-moi vous remercier.

Et, par un mouvement inattendu du plus souverain, du plus irrésistible des charmes, elle mit sur le front de William un baiser. Simpton saisit les deux mains de la comédienne, les appuya sur sa bouche, et, pendant un instant, ne sentit que flammes et parfums en son cerveau.

Puis, quand il put parler :

— Mais vous me trompiez donc avant-hier, dit-il ; vous n’êtes donc pas morte à tous les sentimens ardens et généreux, vous vivez donc ?

— Je vis pour vous ce soir, dit-elle.

— Oui, ce soir, repartit impétueusement William ; mais demain, demain, vivrez-vous pour moi encore ?

En ce moment, on entendit une porte s’ouvrir et un pas dans la petite pièce qui précédait celle où cette scène se passait.

— Voici lord Damville, dit miss Jane à voix basse ; demain, à midi, venez chez moi, je serai seule.

Lord Damville s’était cru obligé, pour ne pas rompre avec son passé politique, d’assister à un dîner ministériel et d’aller se montrer à un