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suppressions imprudentes dans les impôts indirects retranchaient 160 millions du budget des recettes, et les agitations dont la révolution de février a été suivie faisaient descendre les produits des impôts conservés bien au-dessous du niveau où de longues années d’ordre et de paix les avaient élevés.

Un mal si grave appelait un remède efficace. Nous n’avons pas le projet d’examiner ici les propositions du ministre ; nous nous contenterons de les exposer. Réduire la dette flottante à l’aide d’un emprunt de 200 millions, rétablir l’impôt des boissons avec de nouvelles formes de perception, plus tolérantes et non moins efficaces, remplacer par l’impôt sur le revenu et par de nouveaux droits d’enregistrement les pertes volontairement éprouvées sur l’impôt du sel, de la poste et du timbre, compenser l’affaiblissement du produit des impôts conservés par la suspension absolue de l’amortissement, exclure, les grands travaux publics du budget des dépenses, et leur affecter une dotation éventuelle à l’aide d’un emprunt spécial dont le ministre n’ose affirmer le succès et dont il ne réalise le gage que pour une année : telles sont les mesures à l’aide desquelles il rétablit dans la proposition du budget un équilibre qui se maintiendra jusqu’au règlement de l’exercice, si d’ici là la paix de l’Europe et la prospérité de la France nous préservent de tout mécompte dans les recettes et de toute surprise dans les dépenses.

Quelque effet qu’aient pu produire ces propositions sur l’opinion publique, trop peu préparée à les recevoir, nous approuvons sans réserve la franchise du ministre. Ce que nous redoutons le plus pour notre pays, et même, à vrai dire, la seule chose que nous redoutions pour lui, ce sont ses propres illusions. Il n’est point de fautes, il n’est point de pertes, si graves qu’elles soient, que ne puissent aisément réparer la richesse de son sol et l’industrie de ses habitans. Nul ne le traînera, malgré lui, à l’abîme ; il ne risque d’y tomber que s’il s’endort imprudemment sur le bord.

M. le ministre des finances ne se contente pas d’exposer dans toute leur réalité les embarras de notre situation financière ; il en recherche les causes. Quelque ruineuse qu’ait été, d’après lui-même, l’influence des derniers événemens, il remonte beaucoup plus haut. « Depuis dix ans, dit-il, l’équilibre du budget a cessé d’exister ; » L’exercice 1839 a clos la série des budgets réglés sans déficit ; l’exercice 1850 doit sans doute la rouvrir. S’il en était ainsi, M. Passy aurait eu en partage une heureuse destinée : ministre des finances en 1839, ministre des finances dix ans après, il aurait été le dernier défenseur de l’équilibre sous la monarchie, et il en serait le restaurateur sous la république. Nul ne désire plus vivement que moi qu’il obtienne cette dernière gloire ; mais je ne pourrais lui reconnaître la première sans lui sacrifier l’honneur