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l’auteur qui écrivait pour le public, bien plus l’auteur qui se souvenait de la manière de Dickens ; en un mot, on s’apercevait que M. Warren avait quelque peu violenté ses instincts en s’imposant une fable aussi compliquée. Toutefois, l’émulation avait certainement doublé ses forces, et, si la forme de son œuvre n’était pas très originale, en tout cas, il avait révélé beaucoup plus d’étude et de puissance intellectuelle que dans ses premiers essais. Jusqu’ici même, Ten Thousand a year reste toujours le monument de M. Warren. Dans son dernier ouvrage, le romancier est franchement revenu à sa propre nature. Now and Then est plutôt un épanchement qu’une œuvre longuement combinée. Les incidens y sont simples comme dans le Diary of a Physician ; le livre tout entier n’est que l’exposition dramatique d’une seule idée, d’un seul sentiment plutôt. Quelques mots suffiront pour en indiquer la fable. Le jeune lord Alkmond, l’unique héritier du seigneur de Milverstoke, est assassiné, une nuit, dans le voisinage du château paternel, et les circonstances les plus accablantes concourent à désigner comme son meurtrier le fils d’un petit propriétaire des environs. Adam Ayliffe a beau protester de son innocence ; malgré le respect dont est entouré son vieux père, malgré l’excellente réputation dont il a joui lui-même jusque-là, il est jugé et condamné à mort. Cependant le vicaire de Milverstoke est convaincu que le crime n’a point été commis par lui. À force de démarches, il parvient à faire commuer sa peine, et, après vingt ans d’exil, le malheureux déporté voit enfin son innocence reconnue, car il était innocent. Un critique anglais avait attribué à M. Warren l’intention d’attaquer la peine de mort en faisant ressortir les erreurs auxquelles est exposée la justice humaine. Dans la préface de sa dernière édition, l’auteur de Now and Then se défend de tout parti pris de ce genre, et nous croyons qu’en effet rien n’était moins dans sa pensée. Son but véritable, c’était de nous peindre la résignation du vieil Ayliffe courbant respectueusement la tête sous la volonté du ciel ; c’était de nous montrer le digne pasteur amenant peu à peu le condamné lui-même à accepter son sort sans murmure, à monter innocent sur l’échafaud sans douter de la justice inscrutable de Dieu, même à son égard ; c’était enfin de placer en regard de ces humbles croyans, de ces raisons soumises, le caractère noble, mais hautain, de lord Milverstoke, caressant obstinément sa haine contre le meurtrier supposé de son fils ; ame aigrie, cœur révolté, vaincu cependant à la fin par la foi, et arrivant, lui aussi, à s’humilier devant la Providence. Les intentions de l’écrivain sont assez clairement résumées dans son titre : Now and Then, c’est-à-dire maintenant et plus tard. Maintenant, nous ne voyons qu’à travers un verre obscurci, suivant l’expression de l’Écriture ; plus tard, nous verrons à œil nu. Maintenant, notre raison reste confondue devant toute souffrance et tout désordre qui s’écartent de l’idée qu’elle se fait de la justice, du but de la création, de ce qui devrait être ; mais l’inexplicable d’ici-bas s’expliquera plus tard. Plus tard, nous comprendrons comment ce qui était en contradiction avec notre idéal avait un rôle providentiel à accomplir pour contribuer à réaliser l’idéal de Dieu. Telle est la pensée de M. Warren. Assurément, nul ne s’étonnera qu’elle ait pu servir de texte à un romancier, car la raison conduit, comme la foi, à une semblable philosophie ; mais, ce qu’il serait difficile de s’expliquer sans connaître le public auquel s’adressait l’auteur anglais, ce sont les développemens tout mystiques qu’il donne à son idée. Chaque scène est comme une minutieuse étude de l’état religieux des ames de ses