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sort de son inaction habituelle que pour prendre sa part des critiques mesquines, qui forment, comme à l’époque du Bas-Empire, l’essence même de la politique grecque. Cette situation ne saurait se prolonger sans attirer sur la Grèce, au moment surtout où les démagogues émérites cherchent à pénétrer en Orient, des dangers intérieurs et extérieurs qu’il importe à tout le monde de prévenir. La diplomatie, dans d’autres temps, avait choisi la ville d’Athènes pour un de ses théâtres ; il est opportun qu’elle comprenne la vanité de ses querelles sur un terrain aussi faible, et que son entente y répare le mal produit par ses divisions. Pour des raisons différentes, sans doute, mais très réelles, aucune des trois puissances protectrices de la Grèce ne pourrait, à l’heure qu’il est, vouloir dans ce pays autre chose que ce qui y existe ; c’est une bonne fortune dont les hommes importans devraient profiter pour abandonner leurs vieux erremens, et fournir au roi Othon les moyens de composer une administration aussi intelligente et aussi forte que le permet la nature des choses. Nous n’avons, quant à nous, aucune préférence à avouer ; c’est à la Grèce, comme nation, que s’adressent les sympathies de la France, et tout ministère, quel que soit son chef, nous conviendra, s’il fait avec loyauté et indépendance les affaires de son pays. Il importe, avant tout, de séparer nettement la cause de la Grèce de celle des démagogues européens, et de préserver Athènes des scènes qui ont affligé Rome. Ces deux villes, sans parler de leurs intérêts présens, ont un patrimoine de gloire et de renommée qui devrait les protéger contre de pareils excès.


Histoire de la Jeune Allemagne, études littéraires, par M. Saint-René Taillandier[1]. — L’histoire littéraire de l’Allemagne depuis Goethe se partage en deux périodes bien distinctes. Dans l’une, qui commence du vivant même de l’auteur de Faust et qui se prolonge jusqu’aux approches de 1830, l’Allemagne se recueille en elle-même, interroge son passé avec un mystique enthousiasme, et c’est parmi les naïfs chantres du moyen-âge que la poésie du XIXe siècle croit retrouver ses vrais ancêtres. Puis, à ce pieux élan, dont l’école souabe est la dernière expression, succède un mouvement non moins fougueux vers les plus vivantes réalités de notre époque. Ce difficile passage de la fantaisie au réalisme, comment s’est-il accompli ? et qu’a gagné l’Allemagne à cet échange si brusquement opéré de la poésie contemplative contre la poésie militante ? C’est ce qu’a examiné M. Saint-René Taillandier dans une suite d’études que les lecteurs de cette Revue n’ont pas oubliées. L’ensemble de ces études forme aujourd’hui tout un tableau précis et animé du mouvement littéraire de l’Allemagne depuis 1830. La petite phalange littéraire qui s’est appelée la jeune Allemagne, et dont M. Saint-René Taillandier s’est fait l’historien, représente en effet ce mouvement dans sa période la plus curieuse et la plus féconde. C’est, d’une part, le groupe des critiques, M. Gervinus, M. Gustave Kuhne, M. Wienbarg, prêchant tous la fusion de la littérature et de la politique, les uns avec le charme d’une vive éloquence, les autres avec l’autorité de l’étude et de la réflexion. À côté d’eux se placent les poètes, ceux-ci transformant, comme Herwegh et Freiligrath, l’ode et la ballade en armes de guerre ; ceux-là, comme M. Gutzkow,

  1. Un vol. in-8o, chez A. Franck, 67, rue Richelieu.