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Russie pesant sur l’Autriche du poids de sa victoire de Hongrie, l’Autriche maîtresse à Venise de la seule insurrection qui eût toujours été pure, l’Autriche et la Prusse réunies menaçant la Suisse, l’Europe en armes, et la France en attente !


— Les sympathies que nous n’avons cessé d’éprouver pour la Grèce nous ont fait apprendre avec un vif regret que les agitateurs de l’Italie centrale, aujourd’hui sans emploi, paraissaient vouloir transporter leur funeste industrie à Athènes. Au milieu des révolutions du monde, nous nous félicitions sincèrement de voir le dernier venu des états européens demeurer à l’abri des secousses qui ont si profondément troublé les autres peuples. Nous espérons encore que la Grèce saura résister à des séductions fatales et que la poursuite d’un avenir chimérique ne lui fera pas perdre les avantages qu’une lutte de dix années ne lui eût point assurés sans l’intervention bienveillante de l’Europe. Quoi qu’il en soit, des réfugiés italiens et hongrois se trouvent à Athènes, et leur influence y a déjà produit des résultats regrettables. Quelques scènes scandaleuses ont éclaté dans les rues. Des mannequins représentant l’empereur de Russie, l’empereur d’Autriche et Pie IX, ont été brûlés publiquement, et le même honneur a été fait à un journal grec, le Siècle, qui avait osé mal parler du dictateur Kossuth. Les Grecs, au fond, se soucient assez peu des Italiens et des Hongrois, mais ils se persuadent volontiers qu’un désordre général en Europe leur laisserait les mains libres, et faciliterait leur marche vers Constantinople, ce but éblouissant de leurs rêves juvéniles. Ce sentiment, il faut le dire, ne repose sur rien de solide. La vérité historique est là ; sa date n’est pas ancienne, et, pour qui s’est occupé un peu sérieusement de la question grecque, il n’est pas douteux qu’en dépit de nobles efforts, les Hellènes, divisés entre eux sous le feu même de l’ennemi, épuisés par la guerre civile autant que par leur lutte contre les Turcs, seraient retombés misérablement sous le joug du sultan, si les nations européennes, libres de préoccupations intérieures, n’avaient eu le loisir de s’émouvoir à l’aspect des malheurs d’autrui, si la France, l’Angleterre et la Russie n’avaient pu disposer, dans une pensée d’humanité, de leurs trésors, de leurs flottes et de leurs armées, et si enfin la cause qui se débattait dans les défilés de la Morée et derrière les murailles de Missolonghi n’avait eu le bonheur de se montrer pure de tout élément démagogique.

Voilà ce que les Grecs oublieraient, s’ils tentaient, dans les circonstances présentes, de reprendre l’œuvre de 1821, et ce manque de mémoire, à notre avis, ne ferait pas plus d’honneur à leur cœur qu’à leur jugement. Quand une nation doit son existence politique aux sympathies du monde entier, c’est peut-être une gêne ; mais le monde entier a droit de lui demander un peu de reconnaissance, et, pour notre part, nous préférons les Grecs qui portaient le deuil de Pie VII à ceux qui ont brûlé Pie IX en effigie. Ajoutons que la Grèce, depuis qu’elle est maîtresse de ses destinées, n’a marché que bien lentement dans la voie ouverte devant elle. Son administration est encore un chaos où règnent la corruption et le désordre ; son armée est absolument nulle, et les huit mille hommes dont elle se compose ne parviennent même pas à débarrasser le pays du fléau du brigandage ; son gouvernement laisse à la France, à l’Angleterre et à la Russie le soin de payer ses dettes, et les revenus de son trésor diminuent d’année en année, malgré l’accroissement de la fortune des particuliers. Nous