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ques-uns notre sincère avis, car s’ils veulent, eux aussi, beaucoup de bien à l’humanité, ce ne sont pas du moins des bienfaiteurs modestes. Nous commençons d’abord par déclarer que nous serions désolés de penser le plus petit mal possible des hôtes étrangers fêtés par les amis de la paix, dont nous étions nous-mêmes pourvus chez nous sans le savoir. Nous avons étudié dans un esprit de révérence tout mêlé d’attendrissement les visages imperturbables de ces honnêtes quakers qui venaient si bravement, de l’autre côté de l’Atlantique, applaudir avec leurs chastes moitiés des discours qu’ils ne comprenaient pas. La foi qui les transportait aurait assurément mérité qu’une nouvelle Pentecôte leur donnât le don des langues. Sérieusement, ces gens-là ont la foi ; les sont point ridicules. Pour ridicule, ce n’est pas non plus M. Cobden qui le serait ; car s’il n’a pas précisément la même candeur que les philosophes pacifiques de Bruxelles et de Philadelphie, s’il ne baise pas aussi dévotement la devise de l’évangile de Penn : Beati pacifici. — Cedant arma togœ, M. Cobden sait bien ce qu’il fait, et il ne fait pas des phrases pour des phrases C’est cela seulement qui est ridicule, et à ce titre nous avons à nous seuls, dans le congrès, accaparé pour notre nation tout ce que la matière en pouvait contenir.

L’Angleterre a du bonheur avec ses excentriques ; les folies qu’ils font ou les hardiesses qu’ils osent, comme on les voudra nommer, profitent toujours par un bout ou par l’autre à la mère-patrie. Ils ne s’écartent, en petit ou en grand, de la ligne ordinaire que pour mieux tourner les choses à son avantage, et, que l’on soit Pritchard ou Cobden, l’Angleterre ne perd jamais à vos coups de tête. L’excentricité ne se donne pas ordinairement en France cette destination patriotique ; elle consiste par excellence à s’adorer soi-même, et l’on n’a jamais l’air si excentrique que lorsqu’on est le plus uniquement occupé à cultiver sa gloire. Le bureau du congrès de la paix était un ardent foyer de ce culte par trop personnel que recouvre si mal le néant des mots. Comment ne pas démêler à cette tribune, où personne n’était à sa place, le but intime de cette propagande où chacun à son tour apportait la majesté de son verbe ? M. Hugo voulait être M. Hugo ; quoi de plus grand quand on est toujours cela et qu’on le montre toujours ? M. Coquerel a besoin de rester député : M. Deguerry aspire à l’être, et nous regrettons tous les sacrifices qu’il fait à cette trop visible ambition. Il n’y avait là, en vérité, qu’un homme parfaitement désintéressé de lui-même, c’était M. Jean Journet. On ne l’a pas voulu laisser parler quelle pruderie ! En revanche, on a joui d’un merveilleux accès d’éloquence. En entendant un simple ouvrier improviser, le publiciste (le fameux publiciste que vous savez) a déclaré qu’il se révoltait contre lui-même, il a froissé dans sa main son manuscrit, désormais inutile, et comme un cavalier qui saisit violemment la selle d’une cavale indomptée, il a victorieusement frappé du poing la croupe de la tribune soumise. L’auditoire tout entier a applaudi. »

C’est dans cette langue et sur ce ton que l’on a célébré les splendeurs du grand congrès d’où doit sortir la paix organisée que chantera M. Hugo. C’est comme cela qu’on écrit aujourd’hui les actes des apôtres. Et pendant que M. Hugo attache à son métier de poète le beau canevas dont on l’a gratifié, pendant que sa muse complaisante y brode les couleurs de l’arc-en-ciel, nous voyons, nous à notre sombre horizon, la guerre affreuse qui s’approche, la