Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

come tax, et il demande 1 pour 100 sur tous les revenus particuliers. Ce sont bien des nouveautés à la fois en un pays à qui la nouveauté vient de coûter si cher. On peut les croire intempestives, on peut, avoir contre elles des objections très fondées. Ainsi nous pensons qu’il n’y aura jamais eu de perception plus odieuse en France que celle qui voudra frapper sur le revenu, et nous doutons qu’elle s’y acclimate, malgré l’exemple de l’Angleterre. Les informations qui nous viennent de la province nous montrent partout, à ce sujet-là, l’anxiété la plus vive, la répulsion la plus énergique. On n’a pas oublié les cruelles difficultés que des interprétations malveillantes suscitèrent dans quelques localités contre le recensement de 1841. On avait persuadé aux pauvres gens de l’Auvergne qu’on allait visiter leurs maisons et compter leurs chemises pour imposer en proportion leurs humbles ménages. Ce fut cette méprise qui les jeta comme des furieux au-devant des baïonnettes. Il ne serait pas besoin de s’éloignez si fort de la vérité pour expliquer ainsi aux récalcitrans l’impôt inscrit dans le projet de budget de 1850. L’impôt est l’une des matières ou il sied le moins d’être en coquetterie avec la popularité. La popularité est là plus que partout ailleurs un souffle factice. C’est en vue de la popularité qu’on s’est attaque jadis à l’impôt du sel et à l’impôt des boissons. On nous écrit aujourd’hui de Bretagne que paysans, pêcheurs et bourgeois seraient décidés vingt fois à payer derechef l’impôt du sel plutôt que d’avoir à souffrir l’impôt du revenu. Nous craignons que M. Passy ne juge au contraire le premier trop impopulaire pour songer à le rétablir, et le second trop favorable pour songer à l’écarter. Nous aimerions mieux qu’il se décidât par des considérations plus spéciales : il courrait moins risque de se tromper ; mais pour parler ainsi fort à notre aise de ses combinaisons financières, nous n’en trouvons ni plus habile ni plus juste la polémique excessive qui entreprend de nous représenter M. Passy en socialiste, comme M. Dufaure en montagnard. À combattre ainsi les gens, on les sert et l’on se nuit.

Il est encore au sein du parti modéré des polémistes avec lesquels nous ne tenons pas à nous confondre. Nous avons montré, Dieu merci, en temps utile le dégoût dont nous saisissait cette anarchie sans grandeur qui a failli submerger l’Europe avec la France. Nous avons flétri partout où nous l’avons rencontrée cette agitation stérile et funeste qui est le chef-d’œuvre universel de la démagogie, mais nous l’avons flétrie surtout, parce qu’elle était la mort des libertés sérieuses et des nationalités sincères. Nous n’en sommes pas plus disposés, nous le déclarons, à nous associer au retour extrême qui pousse des esprits sans règle et sans retenue à caresser dans l’avenir le triomphe de la vieille politique absolutiste, comme si ce triomphe pouvait jamais être celui de la nôtre. Nous n’avons soutenu ni Garibaldi ni Mazzini à Rome, nous avons maudit le radicalisme en Piémont, à Bade, à Dresde, à Vienne, à Berlin ; mais nous ne voyons pas ce que la France gagnerait et pourquoi elle se réjouirait, si le désordre européen de 1848 ne devait céder la place qu’à l’ordre européen de 1816 et de 1820. Nous savons au contraire, nous sentons au fond de l’ame qu’à cette substitution pure et simple nous perdrions sûrement la France de 1830 elle-même, et c’est une date que nous ne voulons pas perdre ; nous ne le voudrons pas du moins tant qu’il y aura place pour ces frêles vouloirs humains dans la bagarre où nous tourbillonnons.