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plus hauts. Avec la juste conscience du péril où les banquets mettaient la constitution de 1830, M. Dufaure avait en même temps, pour s’abstenir, cette raison majeure, qu’il était ainsi de l’opposition mois que personne, tout en n’étant pas davantage dans les eaux du ministère.

Voilà comment on joue au tiers-parti. Aussi, quand est venue la république, cette ancienne opposition, dont M. Dufaure n’était guère, ayant été sur le coup décrétée de monarchisme, il a eu exception pour lui, parce que, comme il n’avait pas été très engagé dans la lutte des derniers temps, il ne se rendait, pour ainsi dire, presque point solidaire d’aucune des fractions vaincues toutes ensemble par ces vainqueurs trop inattendus du 24 février. Il a ressenti beaucoup moins la blessure de cette victoire, parce qu’il était beaucoup plus à distance de la partie qu’on avait livrée. Or, cette blessure est encore saignante au cœur de la France ; on pardonne à la république, mais on ne se pardonne pas à soi-même la façon dont on l’a subie, et, tout en acceptant le lot qui nous était envoyé par la Providence, on ne s’est point résigné du tout à chérir ceux qu’elle avait choisis pour nous l’apporter. Très naturellement, très loyalement, M. Dufaure n’a pas pu trouver ces instrumens de la Providence aussi désagréables qu’ils devaient l’être à bien d’autres. De là ces nominations qui nous causèrent à nous tant de peine, à lui tant de tort, le lendemain même du jour où il entra dans les conseils du général Cavaignac M. Récurt à l’Hôtel-de-Ville, M. Gervais de Caen à la police. De là plus d’un ménagement inopportun pour des antécédens qui choquent davantage la majorité du pays à mesure que la fierté lui revient. M. Dufaure, n’ayant pas été conquis avec tout le monde, n’est jamais tenté de faire un crime à qui que ce soit d’avoir été au nombre des conquérans. C’est cependant un grief très populaire en France à l’heure qu’il est : M. Dufaure ne le partage pas assez complètement. Le point de divergence par où le pays pourrait, à un jour donné, se séparer de sa direction, est là et non ailleurs ; car M. Dufaure ne saurait être moralement suspect de temporiser ou de transiger avec ce qui serait un péril sérieux pour l’ordre ou pour la société. Il n’a reculé devant aucune des rigueurs d’une répression nécessaire ; il ne reculera point devant celles qu’exigeraient encore les circonstances. Ce n’est peut-être pas assez pour réconcilier l’impartialité trop générale de ses affections avec la vivacité passionnée du sentiment actuel ; mais il n’en devrait pas tant falloir pour lui épargner les attaques absurdes de ceux qui prétendent textuellement l’accoler bientôt à M. Ledru-Rollin dans la nomenclature des démagogues.

La situation de M. Passy n’est pas très différente de celle de son collègue ; il existe contre lui des répugnances analogues : on lui en voudrait presque de nous suggérer des procédés financiers qui ne soient pas tout-à-fait les plus vieux qu’on connaisse, tant on a horreur d’en avoir expérimenté naguère de trop neufs. M. Passy est un économiste, et nous avons si durement payé les folies de la mauvaise économie politique, qu’on ne se résout plus à croire qu’il n’y ait point dans la bonne elle-même de dangers et de piéges. M. Passy ne s’est pas caché qu’il ne lui déplairait point de modifier des impôts essentiels dans un avenir plus ou moins rapproché ; il propose de toucher dès à présent à la caisse d’amortissement, de suspendre l’effet de la dotation dont elle jouit, d’annuler sa réserve ; il a pris enfin la lourde responsabilité d’introduire chez nous l’in-