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LA FIN DE LA GUERRE DE HONGRIE.

parer et à se dissoudre ; mais, sous le régime d’une fédération qui accorderait les divers intérêts, l’on verrait bientôt se produire une force concentrique qui, rapprochant les Croates et les Bohêmes des Polonais, établirait entre tous les membres de l’empire le lien de cohésion qui lui manque, en le dotant de la seule unité à laquelle il puisse raisonnablement prétendre. Que si l’Autriche, encore dominée par ses traditions germaniques, persistait à méconnaître les élémens qui peuvent lui redonner de la jeunesse et de l’indépendance, ce serait un devoir, pour les autres cabinets, de l’en avertir et de lui montrer qu’en présence des agrandissemens de la Russie, de l’ambition du panslavisme, il ne lui est plus permis de jouer imprudemment son existence. L’intérêt vital de l’Autriche n’est pas plus en Allemagne qu’il n’est en Italie : il est sur le Danube ; il faut l’y pousser et ne pas se lasser de lui dire que sa destinée est de se consolider par le slavisme ou de périr par le panslavisme, de faire un rempart à l’Europe contre la Russie ou d’être elle-même dans un avenir qui ne saurait tarder la proie du Moscovite. La guerre de Hongrie a posé ainsi la question, il n’est plus possible de l’éluder : cette question sera long-temps l’embarras et peut-être un jour l’effroi de l’Europe.

Voilà donc les bienfaits dont la liberté est redevable aux patriotes magyars ! Il sera curieux d’apprendre ce qu’en pensent les crédules démocrates de tous les pays, lorsque, les circonstances étant devenues plus calmes, ils pourront réfléchir sainement aux résultats de l’insurrection qu’ils ont encouragée avec tant d’imprudence. Que ne peuvent-ils, dès à présent, lire dans le cœur de ces généraux polonais qui sont allés jeter le dernier feu de leur génie sur cette terre injuste et ingrate ! Que ne peuvent-ils mesurer la profondeur du désespoir de ces vieux braves qui ont pu prêter aux Hongrois leur gloire sans en obtenir même de la reconnaissance ! Nous avons eu sous les yeux le récit de l’indescriptible anarchie qui a signalé les derniers temps de cette guerre avant la soumission de Georgey. Ce récit venait de la main de l’un des plus ardens amis de la cause magyare, de l’un des hommes qui peuvent se vanter de l’avoir le mieux servie par le conseil et par l’épée. Nous ne saurions dire de quelle amertume et de quels sentimens de regret ce tableau est empreint. À chaque trait éclate la douleur de survivre ; c’est le langage d’un homme de conviction et de devoir, qui avait cru assister à une lutte vraiment libérale, et qui n’eût point été fâché de trouver la mort, pour éviter les tourmens intérieurs d’une déception. Ce sincère et vif repentir devrait trouver un écho chez tous ceux qui, par leurs actes ou par leurs sympathies, se sont rendus complices de l’insurrection magyare.

H. Desprez.