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LE SOCIALISME ET LES SOCIALISTES EN PROVINCE.

manifesteront peut-être extérieurement ; grace à vos conseils, il feront peut-être une jacquerie, mais un jour ils se dresseront devant vous et feront retomber sur vos têtes le châtiment de leurs actions. Vous en arriverez à une lutte terrible entre les élémens cosmopolites et nomades des cités manufacturières qui sont votre seule et véritable armée, et les élémens sédentaires, immobiles, patriotiques des campagnes. Espérons que cela n’arrivera jamais ; mais, si jamais vous réussissez, je plains d’abord la société, et je vous plains ensuite, car je vous assure que votre châtiment sera prompt et énergique.

Les socialistes, ai-je dit, ne pouvaient pas soulever les paysans au nom de la république. La raison en est bien simple : les paysans ignorent complètement ce qu’est la république. Ils ne peuvent comprendre absolument rien au gouvernement constitutionnel et parlementaire. Remarquons que cette forme de gouvernement est la moins propre à frapper l’esprit du peuple ; elle est faite pour des esprits cultivés, et excessivement cultivés. C’est une forme abstraite, qui ne représente absolument rien à l’esprit des paysans. Aussi généralement sont-ils très partisans de l’absolutisme ; ils comprennent merveilleusement la puissance d’initiative, la force morale de l’individu. Le culte que les campagnes ont voué à Napoléon est là pour l’attester. Ce n’est pas au nom de l’égalité démocratique qu’on peut les faire lever. L’égalité telle que l’entendent les radicaux, ils ne la comprennent pas du tout. Il n’y a pas d’hommes, chose étrange, qui aient une compréhension plus nette de la nécessité des inégalités sociales, et il n’y en a pas qui comprennent mieux et qui sachent mieux se servir des avantages que confère l’égalité devant la loi. Que ceux qui disent que l’égalité devant la loi et un droit stérile aillent un peu dans les campagnes observer comment les paysans font servir ce droit abstrait d’égalité à conquérir les avantages sociaux ! C’est grace à cette égalité civile que le paysan vend et achète, c’est grace à ce principe qu’il est certain que les contrats seront respectés.

Il fallait donc conquérir les paysans par d’autres moyens. Voici les quelques idées neuves et saines que les socialistes ont semées parmi les paysans. D’abord ils ont soulevé ces passions instinctives, cette fureur de nivellement qui est cachée au fond de la nature humaine par l’idée du partage, plus ils ont réveillé le souvenir des dîmes et des rentes ; on a fait entendre au colon qu’il aurait tous les fruits de son travail. Ils ont, disons-nous, réveillé les souvenirs de l’ancien régime. C’est certainement la meilleure méthode pour exciter la colère des paysans. Le souvenir des dîmes et des rentes est toujours présent à leur souvenir, ils craignent toujours de voir se relever les anciennes exactions dont ils furent autrefois victimes. On n’a qu’à chatouiller cette crainte pour la changer en irritation ; c’est ce qu’ont fait les socialistes