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LE SOCIALISME ET LES SOCIALISTES EN PROVINCE.

la réalisation lente de ses doctrines, qu’il ne demandait que l’adhésion volontaire des cœurs et des intelligences. Un jour, je demandais à l’un des hommes qui ont fait le plus de mal aux provinces depuis la révolution de février si réellement il était communiste. — Communiste ! me répondit-il en haussant les épaules, qui donc a jamais pu penser à cela ? Le communisme, c’est une belle aspiration, mais à coup sûr une aspiration irréalisable. Je connais tout cela, me dis-je, et je me tins pour satisfait. Je savais, le cas échéant, ce qui résulterait de ces aspirations. Depuis cette époque, le monsieur en question est devenu un communiste forcené, ou plutôt il a révélé sa véritable opinion Son aspiration a pris corps.

Mais j’allais prolonger ces réflexions sans songer que j’ai encore à parler des types socialistes qui foulent le sol de la province. Je ne veux qu’en esquisser quelques-uns. Premier type : un tout petit jeune homme revenant de Paris, où il est allé faire son droit ou autre chose ; il est écouté comme un oracle ; ses absurdités passent pour de l’exaltation et ses sottises pour de l’originalité ; ses parens raffolent de lui. Il est plus qu’impertinent. C’est en somme un petit Jehan Frollo ; il a des parens honnêtes et finira par se faire malandrin ; c’est un être sans consistance, d’un esprit vulgaire qui passe pour du génie aux yeux des bonnes gens. Il méprise ses parens, parce qu’il prétend qu’ils ne le comprennent point, et ses parens sont charmés de la chose. C’est un de ces êtres que les socialistes appellent un noble cœur, en réalité un affreux petit drôle méchant, criard et sensuel, pourri de mauvaise littérature, corrompu par de détestables doctrines, destiné à mal finir, verni par un couche superficielle d’une instruction stérile, peu ambitieux, mais plein de désirs vulgaires, plein d’un appétit qu’il lui faudra satisfaire un jour d’une manière ou d’une autre. C’est là le type le plus vulgaire et le plus commun du socialiste en province, du philosophe d’estaminet, braillard, ridicule, insolent, d’une intelligence mince et très facilement oblitérée.

Le deuxième type est plus élevé et aussi plus triste. J’en ai connu beaucoup comme celui que je vais vous décrire. Figurez-v ous un jeune homme bien né, loyal, chevaleresque, mais avec un fonds de niaiserie dans le caractère et un grain de sottise dans l’esprit qui le rendront la dupe de tout le monde. Cette niaiserie, cette sottise, je les appellerai par leur nom, c’est la sentimentalité banale, c’est la sympathie absolue. Les malheurs inévitables de la société qui ont attristé chacun de nous plus d’une fois dans la vie de nous ont amenés à réfléchir su les conditions de l’existence ici-bas produisent, chez ces esprits, une sorte de chatouillement perpétuel qui excite la sensibilité et fait de leur être un moulin à sentimens. De même que le premier type est qualifié par les socialistes de jeune homme au noble cœur, le monde appelle le second