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pas de papier-monnaie ni de l’urgence des expédiens révolutionnaires ; tout vient en son temps, et les banquets dont nous avons été inondée n’auraient pas été tenus, s’ils n’avaient été précédés par les petits soupers innocens. Rien ne se perd dans ce monde ; en jouant à la main chaude, comme dirait. Sancho Pança récitant ses proverbes, on finit souvent par se donner des coups de poing, et on ne joue pas aux chiquenaudes sans que le sang n’arrive bien quelquefois.

Avant la révolution de février, on pouvait craindre les républicains, personne ne craignait les socialistes. J’ai même entendu un esprit tris fin répondre un jour, à quelqu’un qui élevait des doutes sur les intentions des socialistes, par ce mot si vrai sous Louis-Philippe : Les socialistes feront toujours leurs affaires sous tous les régimes. Les socialistes ont enveloppé de paroles mielleuses des doctrines qui se présentaient avec une apparence innocente et calme ; ce gâteau de miel servait à endormir la bourgeoisie d’abord, à éviter les poursuites du cerbère de la magistrature ensuite ; Mais ce n’était que le fantôme du socialisme que nous voyions se promener au milieu de nous ; nous l’interrogions, ce fantôme ; nous le trouvions tour à tour stupide ou inerte, incapable de soulever la plus petite pierre, une abstraction incapable d’action. Le véritable corps et la véritable ame, restaient cachés dans les profondeurs obscures ; cette ame minait et léchait le terrain comme une langue de feu, et un beau jour, le sol étant très mince sous nos pas, comme disait naguère ce bon M. Goudchaux, elle a soulevé les pavés et les a entassés en barricades. Vous vous rappelez la dernière scène d’Hamlet, où le jeune prince, avec sa dissimulation profonde, propose à Laërte de faire des armes par manière de divertissement. On apporte des fleurets, et le combat s’engage, ce combat n’est qu’une manière de discussion sur la force réelle des deux adversaires et sur leur adresse réciproque ; mais tout à coup l’un des fleurets est devenu une épée véritable et même une épée empoisonnée. Quelque chose de pareil s’est passé dans le duel entre la société et le socialisme. Les socialistes ont transporté l’art diplomatique de dissimuler sa pensée dans les choses de l’esprit. Ils ont fait grimacer la pensée, et lui ont fait prendre toutes les attitudes, toutes les postures ; jamais elle n’a joué pareilles comédies dans ce monde. Le socialisme a demandé asile et protection à la bourgeoisie ; il s’est présenté comme un pauvre honteux auprès de l’aristocratie ; il a caqueté dans les salons avec tous les partis, papillonné autour des dames ; il a conquis les artistes en se prostituant à eux, c’est le mot. Combien de fois n’ai-je pas entendu, avant février, les protestations pacifiques de ces messieurs ! Ce n’était pas une république rouge qu’ils voulaient, mais bien une république rose, comme a dit plus tard M. Caussidière. Quand on parlait à un socialiste avant la révolution de février, il répondait qu’il voulait le progrès pacifique,