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Hadj-Abd-el-Kader, qui, lors d’une première course dans l’est, s’était créé des relations importantes dans cette partie de l’ancienne régence, et qui, du reste, y trouvait aide et sympathie, arriva subitement à Médéah, s’empara du bey que nous y avions laissé, jeta dans les fers soixante des principaux Coulouglis[1] de cette ville, et imposa une amende considérable à Omar, fils d’Omar-Pacha, auquel il reprochait d’entretenir des relations avec son frère Mohamed, qui s’était mis au service des Français. La lettre suivante, écrite par Omar vers la fin de 1837, donnera une idée exacte de la situation des Coulouglis à cette époque.

« Lorsque, pour punir les Turcs de leur injustice, de leur barbarie et de leur avidité, Dieu, dont ils avaient oublié les préceptes, envoya les Français sur la côte de Sidi-Ferruch ; lorsque, par la volonté de celui qui seul donne la victoire, les armées musulmanes prirent honteusement la fuite devant les chrétiens ; lorsque, enfin, Alger l’inexpugnable tomba, malgré ses deux mille canons, entre les mains de l’infidèle, tout espoir de bonheur fut à jamais enlevé à tous les Turcs et à tous leurs descendans, habitans de l’Algérie. Mieux eût valu cent fois pour eux de périr dans les champs de Sidi-Ferruch et de Staoueli ; ils auraient acquis la gloire ici-bas et la gloire là-haut ; mais il en fut autrement écrit.

« Notre heure est passée, l’heure des marabouts et des bergers est arrivée. Les Français ont ôté le joug du taureau, ils lui ont appris à combattre. Il a redoublé de fureur depuis que ses cornes ont trempé dans le sang, et sa première fureur s’est tournée contre son maître. Partout où ils se trouvaient seuls, les Turcs et les Coulouglis ont été menacés ; partout où ils étaient réunis, ils se sont défendus et ont encore une fois inspiré la crainte à leurs anciens esclaves ; mais le jour où le pouvoir est tombé entre les mains d’un seul, du jour où l’alliance des Français a fait d’Abd-el-Kader un véritable sultan[2], notre perte a été certaine. Les Coulouglis de Tlemcen, de Médéah, de Mostaganem, de Mazagran, de Mazouna, sont tous asservis ou exilés ; il ne reste plus que ceux de Milianah ; notre tour ne peut tarder. Moi surtout, je dois avoir plus de craintes que tout autre, car mon influence est redoutée par l’émir ; il convoite ma fortune, et a pour prétexte le séjour de mon frère chez les Français.

« Si j’étais seul, j’abandonnerais toutes mes propriétés, je laisserais ma femme à son père, j’arriverais à Alger, j’en arracherais mon frère, et j’irais demander l’hospitalité à Méhémet-Ali, l’ancien ami de notre père ; mais j’ai une mère chérie, la veuve fidèle d’Omar-Pacha : elle seule me retient dans ce maudit pays. J’aurais pu sauver ma famille et mes richesses, mais j’étais heureux alors, je commandais en pacha, je m’enivrais des flatteries de ceux qui mangeaient à mes dépens. Ceux qui sont maintenant mes ennemis me faisaient alors mille protestations de dévouement et me dissuadaient de ce dessein. Je ne prévoyais pas comme aujourd’hui la tempête qui nous menace. »

  1. Fils de Turcs et de femmes arabes.
  2. Par le traité Desmichels.