Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/823

Cette page a été validée par deux contributeurs.
817
SOUVENIRS DE LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

L’état-major était peu nombreux ; le général n’avait près de lui que deux officiers, un aide-de-camp, M. le capitaine Pourcet, qui, depuis cinq ans, ne l’avait pas quitté un instant, et un officier d’ordonnance, M. Carayon-Latour, charmant homme, gai, toujours prêt à rire, prêt à se battre, sans soucis comme sans reproches, un de ces caractères remplis de droiture et de loyauté, si rares et si précieux. C’était bien peu pour un état-major ; mais c’était assez, grace à leur activité. Nuit et jour sur pieds, ils suffisaient à tout. Jamais un ordre, jamais un service n’éprouva le moindre retard. Selon son habitude, le général marchait en tête, pensif, silencieux, s’en allant au pas de son cheval favori. Couscouss était un vaillant petit cheval, râblé, trapu, sachant fièrement faire sonner son pied. Au feu, dévorant les balles, il se précipitait sur le danger, et, comme me disait un jour l’ordonnance qui le pansait, parlant du cheval et du maître : — C’est diable sur diable. — L’ordonnance avait, je crois, raison.

On ne suivait pas la vallée de l’Oued-Ger lorsque les communications entre Milianah et Blidah n’étaient pas libres. Ses contre-forts rapides, garnis de lentisques et de chênes verts, présentaient de trop grandes difficultés. La route de nos colonnes, plus longue, mais plus sûre, passait par les crêtes et venait également aboutir au marabout de Sidi-Abd-el-Kader, où nous devions bivouaquer le soir. À trois heures en effet, après avoir traversé dix-huit fois l’Oued-Ger, nous rejoignions les troupes parties la veille, et nos tentes étaient dressées sous les oliviers séculaires que la hache française avait encore respectés. Pendant la nuit, le ciel s’était couvert de nuages, et la pluie tombait en abondance quand la diane fut battue ; mais heureusement le temps se leva lorsque nous traversâmes la vallée de l’Oued-Adelia, dont les fortes terres sont si pénibles pour les hommes et pour les chevaux. Depuis la vallée de l’Oued-Ger, la route suivait une direction sud. Nous allions avoir à choisir entre deux chemins ; l’un remonte vers Milianah par les pentes du Gontas et la vallée du Chéliff, l’autre passe par le pays des Righas et gagne la ville du côté nord en longeant les pentes du Zaccar. La dernière était la plus courte ; ce fut celle que nous prîmes, et arrivés, malgré la pluie et les terres glaises, sur les plateaux des Righas, nous aperçûmes, de l’autre côté d’un immense ravin boisé, Milianah, bâtie sur l’escarpement d’un rocher, entourée de jardins et de verdure. Le territoire qui se déroulait sous nos yeux était habité par une vaillante tribu. Long-temps dans l’exil, elle conserva le souvenir de ses montagnes, jusqu’au jour où, libre enfin, elle put, grace à sa courageuse énergie, regagner la terre de ses aïeux. En 1780, la tribu des Righas fut en discussion avec le marghzen d’Alger. D’une discussion arabe à un coup de fusil il n’y a pas loin. La tribu des Righas se battit bravement. Deux aghas et quarante cavaliers à étriers d’or