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SOUVENIRS DE LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

province d’Alger ; mais, dès l’année précédente, elle était entrée dans sa seconde période. En 1839, en effet, lorsque l’assassinat d’un officier supérieur, le massacre de deux petites colonnes, les incendies et le pillage signalèrent la reprise des hostilités, nous eûmes à lutter contre un ennemi qui avait habilement profité de la paix pour organiser sa puissance et réunir en un seul lien les forces du pays. Il fallut briser ce faisceau, désorganiser cette nouvelle autorité, avant d’amener les tribus à reconnaître une à une notre pouvoir. Ce fut l’œuvre de deux années. On n’a pu oublier ces brillantes campagnes de 1840, où se fondèrent ces jeunes renommées qui devaient plus tard devenir les gloires de l’Afrique : le col de Mouzaïa et ses assauts, Médéah, Milianah, occupés par nos troupes, et nos colonnes s’avançant de tous côtés, brisant les obstacles, bravant fatigues et périls. À la fin de 1841, l’émir, cédant devant nos armes, reportait le théâtre de la lutte dans la province d’Oran, foyer de sa puissance. Alors commença la guerre de tribus ; frappées par de vigoureux coups de main, pendant l’hiver de 1841-1842, celles de la Mitidja furent les premières à demander l’aman[1]. En juin 1842, les colonnes d’Oran et d’Alger se réunissaient dans la vallée du Chéliff, et, à l’automne, les troupes d’Alger, à leur tour, s’avançaient jusque dans la province d’Oran, amenant avec elles les contingens des tribus alliées. Les soumissions arrivaient de tous côtés, incertaines encore, il est vrai ; mais enfin, poursuivant son œuvre sans relâche, sans repos, l’armée faisait sans cesse de nouveaux progrès, lorsque, pendant l’hiver de 1843, Abd-el-Kader, par une pointe rapide, jeta la révolte parmi les Kabyles des Beni-Menacers, les sauvages habitans de ces montagnes affreuses qui séparent Cherchell de Milianah, et ralluma le foyer de la résistance dans l’Ouarsenis, entre le Cheliff et le petit désert. Dominer cette révolte des Beni-Menacers ; plus tard, dans deux mois, pénétrer dans l’Ouarsenis et en châtier les populations, telle était l’œuvre que le général Changarnier était chargé d’accomplir. Malgré les difficultés de la saison et les dangers de l’opération, la confiance qu’il inspirait aux troupes était telle que nul ne songeait au péril, et, lorsque l’on partait avec lui, le succès n’était jamais douteux.

Le lendemain même du jour où nous arrivions à Blidah, les troupes devaient se mettre en marche. Aussi n’y a ait-il que bruit et confusion dans cette ville du repos et de la solitude. Les boutiques étaient encombrées de soldats achetant leurs petites provisions de sucre, de café, de tabac ou de cigares, selon que leur bourse renfermait le modeste sou de poche[2] ou l’aristocratique pièce blanche. Les hommes de

  1. Demander l’aman, c’est demander à être reçu à merci. Donner l’aman, c’est accorder le pardon.
  2. On sait qu’après avoir retenu la nourriture sur la solde, on distribue cinq sous tous les cinq jours aux soldats pour leurs menus plaisirs.