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V

Telle fut la révolution de 1688. Il faut la juger au point de vue des résultats qu’elle produisit en Angleterre, et au point de vue de nos révolutions continentales.

C’est à peine si l’on ose donner à cet acte du peuple anglais sur lui-même le nom de révolution, tant le sens de ce mot appliqué à la crise de 1688 diffère de celui qu’il a pour nous depuis un demi-siècle. Dans notre expérience, une révolution est une rupture haineuse et violente avec le passé, une scission dans l’histoire d’un peuple, un déchirement irréconciliable de la société. La révolution de 1688 fut toute autre chose pour l’Angleterre. Si on en examine les résultats, ce fut une transaction et un traité de paix entre les libertés populaires et la prérogative royale ; si l’on en recherche les causes, ce fut une révolution défensive et non une insurrection agressive, puisqu’elle ne fut provoquée que par les usurpations de la royauté ; si l’on en juge le caractère, ce fut une révolution conservatrice, car le peuple anglais ne la fit que conserver des droits et des libertés aussi anciens que les prérogatives de la royauté ; si on la considère au point de vue historique, ce fut une révolution progressive, car, au lieu de rompre le passé de l’Angleterre, elle n’en fut que le développement logique et l’achèvement naturel ; si on l’apprécie au point de vue national, ce fut une révolution patriotique, car, par elle, l’Angleterre, retrouvant la plénitude de son génie intérieur, reprit sa liberté d’action et le cours de ses destinées dans le monde. La révolution de 1688 termina l’élaboration de la constitution anglaise. Elle termina cette constitution, non pas à la manière de notre siècle, par une loi écrite, non pas dans ce système des révolutionnaires, si bien formulé par Thomas Payne, qui disait qu’une constitution n’existe pas tant qu’on ne peut pas la mettre dans sa poche, mais par des actes conformes aux précédens de l’histoire d’Angleterre. « Les deux partis anglais qui concoururent à la révolution de 1688 s’accordaient comme le remarque M. Macaulay, dans un même respect pour les traditions constitutionnelles de l’état. La seule question était de savoir comment ces traditions devaient être interprétées. Les avocats de la liberté ne disaient pas un mot de l’égalité naturelle des hommes et de la souveraineté inaliénable du peuple. Ils n’invoquaient ni Harmodius ni Aristogiton, ni le premier ni le second Brutus. La seule question révolutionnaire était de savoir si, après la fuite de Jacques II, le parlement pouvait prononcer que le trône était vacant, et y appeler un nouveau souverain. Les uns disaient qu’il n’y avait pas de précédent pour justifier un pareil acte, les autres allaient tirer des archives de la Tour un rouleau de parchemin vieux de trois siècles, où il était écrit, en caractères gothiques et en un latin barbare, que les