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parole de Dieu n’appartenait pas aux princes ; cependant le roi eut sur l’église ce qu’on appelait un pouvoir de visitation, pouvoir dont les attributions demeurèrent indéfinies, mais qui comprenait la nomination des évêques et le droit, non moins vague et non moins vaste, de réprimer les abus ecclésiastiques et de punir l’hérésie. Dans son ensemble, l’église d’Angleterre laissait un champ plus libre à la raison individuelle que le catholicisme, et parlait plus que le protestantisme à l’imagination et aux sens. Par ce qu’elle conservait de l’ancienne religion et ce qu’elle accordait à l’esprit nouveau, elle était bien faite pour rallier au premier moment les masses indécises, flottante tour à tour et tout à la fois curieuses d’innovation et amoureuses des vieilles formes. La subordination où elle se trouvait vis-à-vis du pouvoir royal produisit deux conséquences contraires : elle apporta de nouvelles forces à la royauté et lui suscita de plus violens ennemis.

La constitution de l’église fortifia la royauté menacée par les puritains d’un côté, par les papistes de l’autre, vue d’un mauvais œil par le parlement, l’église n’existait en effet que sous la protection du pouvoir royal. La cause de l’église devint donc solidaire de la cause du trône. L’église fut profondément monarchique. Elle exalta et divinisa le caractère de la royauté, elle anathématisa l’esprit de résistance au pouvoir royal, elle prêcha le droit divin des rois mais la constitution de l’église suscita aussi à la royauté des adversaires fanatiques et implacables. Un grand nombre de protestans imbus des doctrines luthériennes et calvinistes avaient regardé la constitution de l’église d’Angleterre comme une prostitution sacrilège du culte du vrai Dieu au culte de Baal. Ces puritains, persécutés sous Marie et sous Elisabeth, avaient été forcés d’émigrer sur le continent ; ils allaient en Suisse, en Allemagne, en Hollande ; ils s’échauffaient aux foyers de Genève et de Zurich ; ils rapportaient en Angleterre « ce dégoût secret de tout ce qui a de l’autorité, comme parle Bossuet, et une démangeaison d’innover sans fin quand on en a vu le premier exemple. » Ils revenaient remués par l’esprit républicain, qui jaillissait si naturellement des doctrines presbytériennes, méprisant l’église anglaise comme un catholicisme bâtard, haïssant le roi comme un fantôme d’antéchrist romain, regardant la royauté comme une institution oppressive et illégitime dans une société de chrétiens égaux. Tant qu’Élisabeth vécut, les puritains continrent les rébellions de leur conscience. Ils lui pardonnaient ses persécutions en contemplant la vigueur et la gloire avec laquelle elle défendait les intérêts du protestantisme européen. Un des membres les plus exaltés de la secte, debout sur l’échafaud où une de ses mains venait d’être hachée par le bourreau, saisissait son chapeau de la main qu’on lui avait laissée et l’agitait au-dessus de sa tête en criant : « Dieu sauve la reine ! » Mais lorsque Jacques Ier prit la couronne d’Angleterre,