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immense contrebande à arrêter, voilà les difficultés financières. Il n’y avait pourtant eu dans l’administration de Pitt aucun de ces changemens à vue que recherchent les esprits chimériques ; tous ses résultats avaient été obtenus lentement, péniblement, et son unique secret pour restaurer les finances publiques avait été l’ordre, l’économie, la fidélité aux engagemens ; il n’y en a pas d’autres en effet.

Ici s’arrête la première partie de la vie de Pitt, la moitié pacifique de son ministère ; avec l’année 1793 devait commencer pour lui une nouvelle série de devoirs et de travaux. Cette seconde moitié a été plus grande, plus éclatante ; elle a laissé un plus profond souvenir dans la mémoire des hommes, mais elle a été bien moins selon le cœur de Pitt que la première. Il aimait la paix et la richesse que la paix amène ; il fit plus tard la guerre avec une énergie indomptable, il se réconcilia même un peu avec elle, quand il vit qu’elle n’était pas incompatible avec le développement maritime et commercial de son pays, mais au fond il ne l’aima jamais. Tout en cherchant avec une habileté constate à faire tourner au profit de l’Angleterre la conflagration qui dévastait l’Europe, il regrettait le temps où la prospérité nationale coûtait moins d’efforts et de sang ; tout en supportant d’une main ferme cet échafaudage d’emprunts successifs qu’il sut élever avec une audace inouie, il regrettait l’époque plus heureuse où il avait cru fonder pour toujours l’amortissement national. Nous ne le suivrons pas dans cette seconde carrière où chacun de ses succès est une atteinte à la France de la révolution et de l’empire[1] ; nous avons voulu seulement montrer par quels préliminaires se prépara la colossale puissance financière qui finit par triompher de la révolution française et de Napoléon.

Il est impossible de ne pas faire, devant ces souvenirs, un triste retour sur nous-mêmes. Dans son exposé du budget de 1792, Pitt, avec un juste sentiment de la vérité, attribua la plus grande partie de son succès à la puissance de l’esprit public en Angleterre et à la vitalité des institutions nationales. Nous ne pouvons malheureusement pas en dire autant en France. L’administration des finances françaises, de 1830 à 1848, a été non moins remarquable que l’administration de Pitt de 1784 à 1792, et elle a eu une tout autre conclusion. Durant les dix-huit ans de la monarchie de juillet, on a vu aussi, comme du temps de Pitt, les recettes publiques monter tous les ans, avec cette différence qu’en Angleterre le progrès des recettes tenait en partie à l’établissement de taxes nouvelles et à l’aggravation des anciennes, tandis qu’en France il était dû tout entier au maintien de la paix, à la conservation de

  1. Le tableau complet de l’administration et de la vie de Pitt a été présenté dans cette Revue même par un écrivain très compétent, M. L. de Viel-Castel. — Voyez les livraisons des 15 avril, 1er mai, 1er et 15 juin 1845.