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et aux oreilles de la jeune créole, pas un n’était resté, La malheureuse femme n’avait donc trouvé qu’un assassin au lieu d’un amant, et le vol avait suivi le meurtre. Les cris du cocher ne tardèrent pas à attirer la foule, parmi laquelle se trouva heureusement un médecin, qui constata que la victime vivait encore. Dès-lors il ne s’agit plus que de la transporter au couvent le plus proche, et c’est ce qu’on fit. Ce couvent était celui des Bernardines. Ce premier devoir d’humanité rempli, la tache de la justice commença ; mais, tandis que les médecins ramenaient à la vie, par des soins intelligens, la malheureuse femme, les juges ne virent pas leurs poursuites contre le meurtrier couronnées du même succès. On arrêta d’abord le cocher, et on dut le relâcher bientôt après avoir reconnu sa parfaite innocence. On arrêta ensuite un jeune Espagnol dont les assiduités et les galanteries pour la créole n’étaient un secret pour personne. Celui-ci apprit à la fois ainsi l’infidélité et la mort de celle dont il voulait faire sa femme. Ce fut un coup affreux (ici la voix de don Tadeo trembla visiblement), et peu s’en fallut qu’il n’en perdît la raison. Au bout d’un an, l’Espagnol fut relâché faute de preuves ; mais il sortait de prison ruiné par les frais de justice et le cœur privé de ses plus chères illusions. Il sut alors que celle qui l’avait trompé, et qu’il avait pleurée comme morte, vivait encore, mais qu’elle avait renonce au monde et pris le voile dans le couvent même où elle s’était vue recueillie après l’événement du Paseo. Il ne fit aucune tentative cependant pour la voir ; mais tous ses efforts toutes ses pensées n’eurent plus qu’un seul but, la vengeance. La justice mexicaine n’avait pas su découvrir le meurtrier : il se promit de continuer les poursuites trop tôt abandonnées, et de réussir là même où la coupable indolence des juges avait déclaré le succès impossible.

Ici le licencié fit une pause ; le glas des Bernardines tintait toujours, et je commençais à comprendre l’émotion qu’éveillaient en lui ces sons lamentables.

Cet Espagnol, vous l’avez deviné, c’est moi. J’avais pu dérober au dossier de cette lugubre affaire une lettre trouvée sur la jeune fille, et dans laquelle on lui assignait le rendez-vous où elle avait rencontré la mort. Ce fut pour moi le seul fil à l’aide duquel je remontai le sombre labyrinthe où la justice mexicaine s’était égarée. Dès-lors commença dans ma vie une période ténébreuse et agitée que la mort seule pourra finir. Je me résignai à vivre au milieu des voleurs et des meurtriers, dans l’espoir d’arriver, par leurs révélations, à la connaissance du secret qui me préoccupait. Sous prétexte d’exercer ma profession de légiste, j’allai au-devant de toutes les affaires qui m’offraient une occasion d’interroger ces misérables, de pénétrer dans leurs tavernes et dans leurs repaires. Il ne se commit dès-lors plus dans Mexico un