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— En l’an 1825, — il y a aujourd’hui dix ans de cela (nous étions en 1835), — une tentative d’assassinat fut commise à Mexico. Ce n’est là malheureusement qu’un fait trop ordinaire pour la capitale du Mexique, et si l’attention publique se porta un moment sur cette affaire, ce fut surtout à cause des circonstances qui l’avaient accompagnée. C’est grace à l’étrangeté de ces circonstances que la tentative dont je vous parle, au lieu d’être racontée brièvement à la dernière colonne des journaux, figura parmi les événemens plus ou moins importans qui ont le privilège d’occuper pendant plus d’une semaine la population désœuvrée de Mexico. Un singulier mystère planait, en effet, sur cette tentative de meurtre. Aux premières heures du jour, quand le Paseo de Bucareli[1] est encore désert, une voiture de place était venue stationner dans un endroit retiré de la promenade. Le cocher était descendu de son siége, et s’était écarté discrètement, comme s’il eut deviné le motif de cette station matinale. Etait-ce un homme ou une femme que cette voiture de providencia (vous savez qu’on appelle ainsi les voitures de place à Mexico) amenait à un rendez-vous d’amour ? Les stores soigneusement baissés interdisaient à cet égard toute conjecture ; mais on sut plus tard qu’il y avait dans la voiture une jeune femme d’une éclatante beauté, qui, cédant à la vanité créole, s’était parée pour cette occasion de tous ses diamans. Les créoles ont ce travers, vous le savez, de vouloir paraître aussi riches que belles, et pourtant, quoi que pût faire la jeune femme, elle était encore plus belle que riche. Quelques instans s’écoulèrent, plus un homme enveloppé dans un large manteau s’avança vers la voiture. La portière s’ouvrit à son approche, et se referma précipitamment. Une rencontre de ce genre était trop dans les mœurs mexicaines pour étonner le cocher, qui se coucha sur le gazon à l’ombre des peupliers, et ne tarda pas à s’endormir profondément. Quand il se réveilla, la voiture était toujours à la même place. Seulement l’ombre des peupliers, au lieu de s’incliner vers le couchant comme à l’heure où il s’était endormi, s’allongeait vers l’orient, c’est-à-dire que le soleil achevait sa course, et que le soir allait succéder au matin. C’était l’heure où le Paseo commence à être fréquenté par les promeneurs. Le cocher s’étonna d’avoir dormi si long-temps ; il courut à la voiture, appela, et, ne recevant pas de réponse, ouvrit la portière. Alors un lugubre spectacle s’offrit à lui. Affaissée sur les coussins, la jeune femme était plongée dans un évanouissement qui s’expliquait trop bien par le sang dont la voiture était inondée. Ce sang coulait d’une large plaie qu’avait faite le poignard sûrement dirigé de quelque bandit émérite, et cette plaie, au premier aspect, semblait mortelle. De tous les diamans qui étincelaient au cou

  1. Promenade publique à Mexico