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asile inviolable du citoyen ? Pourquoi dépouiller ceux qui travaillent du droit d’être jugés par jurés, quand vous le conservez aux oisifs ? »

Toutes ces belles raisons n’empêchèrent pas, comme on a vu, le succès du bill. À la chambre des lords, il rencontra une opposition qui fut bien autrement sensible à Pitt : ce n’était rien moins que celle d’un membre du cabinet, d’un ministre, du lord chancelier lui-même, lord Thurloe. Cet étrange adversaire ne se borna pas à des conversations et à des intrigues contre le bill proposé par son collègue : il poussa les choses jusqu’à prononcer un long et violent discours, qualifiant les nouvelles attributions données aux officiers de l’excise de monstrueuses violations des droits des citoyens. La chambre s’étant formée en comité pour l’examen du bill, il en combattit successivement toutes les clauses. Il était assisté dans cette singulière campagne par un des plus intimes confidens du roi, lord Hawkesbury, ce qui permit à l’opposition de faire courir le bruit que George III, lassé de son ministre, voulait le perdre par le moyen du parlement ; mais cette nouvelle guerre échoua comme l’autre : lord Thurloe fut combattu ouvertement par d’autres ministres, comme le duc de Leeds et le duc de Richmond, et le bill passa sans amendement. Le lord chancelier avait un peu trop écouté dans cette occasion sa jalousie contre le jeune ministre, qui l’éclipsait aux yeux du parlement et du roi ; il fut bientôt après obligé de sortir du ministère, et, cette dernière résistance vaincue, Pitt demeura sans rival : résultat qui fait encore plus d’honneur, s’il est possible, à son pays qu’à lui-même.

Cette fidélité de la confiance publique était d’autant plus remarquable, que le bill sur le tabac avait réellement de grands défauts. Ces défauts se révélèrent dans la pratique : dès la réunion du parlement pour la session de 1790, les pétitions affluèrent de nouveau. Cette fois, ce n’était plus sur des hypothèses que portaient les réclamations, on se plaignait de l’exécution même du bill. Sheridan triomphant demanda le rappel du bill comme inexécutable ; le rappel fut rejeté à une faible majorité (191 voix contre 147). Pitt s’exécuta ; il fit lui-même à sa loi des modifications considérables qui la rendirent d’une application plus facile. En même temps, il essuyait un autre désagrément : la tontine qu’il avait établie l’année précédente ne réussissait pas ; les souscripteurs étaient peu nombreux, les titres dépréciés ; il fut forcé de demander au parlement des conditions plus favorables, qui lui furent accordées. Enfin, au moment où il espérait ramener les armemens aux chiffres posés par le comité de 1786 et réparer ainsi la brèche faite dans ses calculs par les frais extraordinaires de 1787, une nouvelle difficulté diplomatique suscita de nouvelles dépenses militaires. La guerre faillit s’engager entre l’Angleterre et l’Espagne au sujet de