Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/732

Cette page a été validée par deux contributeurs.
726
REVUE DES DEUX MONDES.

— C’est une scène qui appartient à l’histoire. Le vicomte de Montflanquin, qui m’honore de sa bienveillance, me l’a racontée plus d’une fois. La présentation eut lieu dans la salle du trône, en présence de la reine, des princes, des princesses et de tous les grands dignitaires de l’état. — Sire, dit le vicomte sans hauteur et sans humilité, je me rallie franchement à votre dynastie. Que votre majesté daigne pourtant souffrir que j’y mette une condition. À ces derniers mots, le roi fronça le sourcil, et tous les visages passèrent en moins d’un instant de l’étonnement à la stupeur. — Vicomte Gaspard de Montflanquin, dit à son tour le roi, nous imposons des conditions, nous n’en acceptons pas. Cependant parlez : pour attacher un fleuron si précieux à notre couronne, il n’est rien que nous ne fassions. — Sire, répliqua le vicomte, je me rallie à votre dynastie à la condition que votre majesté ne fera rien pour moi, et qu’il me sera permis de rester pauvre comme par le passé.

— C’est beau, dit Laure.

— C’est trop beau, ajouta M. Levrault. Que répondit le roi ?

— Le roi ouvrit ses bras au vicomte de Montflanquin et le tint longtemps sur son cœur. Je n’ai pas besoin d’ajouter que ses yeux étaient mouillés de larmes. Nous ne ferons rien pour vous, lui dit-il enfin avec bonté ; puisque vous l’exigez, vous ne serez rien, pas même pair de France. Seulement, quoi que vous demandiez, soit pour vos proches, soit pour vos amis, vous l’obtiendrez, noble jeune homme, de notre royale gratitude.

— En vérité ! s’écria M. Levrault ; le roi a dit cela ?

— Et ce n’étaient pas des paroles en l’air, reprit Jolibois en élevant la voix. Ruiné par les révolutions, retiré dans le château de ses aïeux, qu’il ne quitte que de loin en loin pour aller passer quelques semaines aux Tuileries ou chasser à Chantilly avec les princes, vivant de peu, presque sans patrimoine, le vicomte de Montflanquin est pourtant l’homme de France le plus influent et le plus puissant à la cour. Je sais plus d’un gros bonnet qui se carre dans les hautes fonctions publiques et qui lui doit sa position. À plusieurs reprises, il m’a offert une préfecture, car, je vous l’ai dit, il me veut du bien. Tout récemment encore il me disait : Jolibois, vous n’êtes pas à votre place. J’ai toujours refusé, mes opinions politiques ne me permettant pas de rien accepter de ce gouvernement.

— En effet, Jolibois, de tout temps je vous ai soupçonné de tendances républicaines. Vous ne m’avez pas dit si le vicomte est en famille ?

— Le vicomte de Montflanquin n’est pas marié, repartit maître Jolibois.

Et après quelques instans de silence, pendant lesquels il put voir