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SACS ET PARCHEMINS.




PREMIÈRE PARTIE.


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La sottise humaine est incurable : Molière n’a corrigé personne. M. Levrault s’était enrichi à vendre du drap près du marché des Innocens. Une fois retiré des affaires, l’orgueil et l’ambition lui montèrent par folles bouffées au cerveau. Il faut croire que les écus ont, comme le vin, des vapeurs enivrantes. Quand il se vit à la tête de trois millions, honnêtement et laborieusement acquis dans la boutique de ses pères, ce brave homme, pris de vertige, découvrit que la richesse, qu’il avait considérée long-temps comme le but de sa destinée, n’en était que le point de départ : il éprouva le besoin de faire peau neuve, de sortir des régions obscures où il avait vécu jusque-là et de s’élancer, comme un papillon échappé de sa chrysalide, vers les sphères brillantes pour lesquelles il se sentait né. Vagues d’abord, timides, inavouées, ces idées s’étaient glissées furtivement dans son esprit, et n’avaient pas tardé à s’y développer dans des proportions formidables. Nous étions alors un peu loin des velléités démocratiques de la révolution de juillet, et, bien que l’aristocratie de la finance se montrât en général assez dédaigneuse vis-à-vis de sa sœur aînée, il y avait pourtant bon nombre de gens qu’alléchaient encore les titres de noblesse. M. Levrault aspirait en outre à devenir un personnage dans le gouvernement. Les sommets l’attiraient. Pour s’encourager, il compulsait avec complaisance les fastes récens de la bourgeoisie. Des fantômes provocans le poursuivaient partout, jusque dans son sommeil. C’étaient des ministres, des