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la France, dans laquelle ils voyaient naïvement une libératrice et une amie. Qu’adviendrait-il si, dans cette grave conjoncture, la Russie se tournait contre cette pauvre Allemagne, qui, pour mieux se centraliser, se désorganise ? Que serait-ce si, pendant que celle-ci chante : Où est la patrie de l’Allemand ? la Russie se mettait à chanter : Où est la patrie des Slaves ? Cela pourrait bien rapprocher très fort de Berlin, de Dresde et de Munich les frontières de l’empire russe. Que deviendrait, durant ce temps-là, le Rhin allemand ? — Il y a, nous osons le croire, beaucoup de fantaisie dans les perspectives que l’écrivain russe entrevoit au bout de la mission du général Lamoricière, et nous ne saurions partager les craintes que cet événement inspire aux amis des Magyars en Allemagne et en Angleterre.

— La doctrine du libre échange est toujours demeurée, en France, à l’état de théorie, et aucune tentative sérieuse n’a été faite pour la mettre en pratique. Le retentissement qu’eurent en France comme dans toute l’Europe les réformes financières accomplies par sir Robert Peel, encouragea quelques écrivains à provoquer la formation d’associations éphémères dont aucune n’a survécu, dont aucune, dans sa courte existence, n’a produit autre chose que des discours, des articles de journaux et quelques brochures. Le maintien des tarifs protecteurs, défendu par la plupart des organes de la presse et réclamé par le vœu incontestable de l’immense majorité des citoyens, n’a jamais été sérieusement mis en question.

Aux États-Unis, il en a été tout différemment. La politique protectrice qui porte exclusivement au-delà des mers le nom de système américain, inauguré par Washington et continuée par Jefferson, a régné sans partage jusqu’au jour où les questions de tarif sont devenues des questions de parti. Les états du nord de l’Union où dominait le parti whig étant avant tout des états manufacturiers et commerçans, les orateurs whigs se sont fait les défenseurs du système de la protection. Par contre, le parti démocratique s’est fait le champion du libre échange et s’est adressé aux passions des états du sud, leur démontrant que, pour s’assurer en Angleterre un facile débouché pour leurs tabacs, leurs sucres et leurs cotons, ils avaient intérêt à ouvrir aux produits anglais un libre accès sur le territoire américain.

Il en résulte que la politique commerciale des États-Unis éprouve les mêmes alternatives que la fortune des partis ; protectrice quand les whigs sont au pouvoir et ont la majorité dans le congrès, elle redevient libre échangiste quand les démocrates reprennent l’ascendant. C’est ainsi que le tarif protecteur de 1842 a subi en 1846, sous l’administration de M. Polk, une révision complète, et aujourd’hui que l’élévation du général Taylor à la présidence a ramené les whigs au pouvoir, les états manufacturiers qui ont décidé l’élection réclament à grands cris de larges modifications au tarif de 1846. C’est pour préparer et pour justifier à la fois ce revirement commercial, qu’un écrivain distingué les États-Unis, M. Colton, vient de publier un livre qui est l’apologie et la glorification du système protecteur.

Dans cet ouvrage intitulé Économie publique à l’usage des Américains[1], M. Col-

  1. Public Économy for the United States, by Calvin Colton ; et vol. in-8o, New-York.