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appartenaient à ces transports, mais qui, pour éluder plus aisément la surveillance douanière, prenaient la voie de terre.

La marine militaire a elle-même considérablement progressé. Dans ces derniers mois, elle a mis à l’eau une corvette, deux bricks, une goélette. D’autres sont à un degré très avance de construction. Quant à la marine à vapeur de nos voisins, elle prend déjà rang immédiatement après la nôtre. Malheureusement l’Espagne en est encore réduite à faire construire ses bateaux à vapeur en Angleterre.

Le cabinet Narvaez a pris, l’an dernier, une mesure qui contribuera puissamment à la régénération maritime de la Péninsule. Il a rétabli cette école d’ingénieurs de marine qui fournissait autrefois à l’Espagne et au monde entier ses plus habiles constructeurs. Cette lacune remplie, rien ne s’opposera à ce que nos voisins reconquièrent le premier rang sous le rapport des constructions navales. Leur sol produit abondamment du fer, du cuivre, du chanvre de qualité supérieure. Leurs colonies de Cuba, de Puerto-Rico, des Philippines, de Fernando-Po et d’Annobon leur fournissent des bois excellens. Les ouvriers espagnols des ports sont en outre renommés pour la rapidité de la main-d’œuvre. L’Espagne peut s’enorgueillir, à cet égard, d’un tour de force qui n’a peut-être son pendant dans les fastes maritimes d’aucun autre peuple. Au commencement de ce siècle, Carthagène a vu mettre en quille, caréner, doubler, gréer et lancer une frégate dans l’espace de quarante jours.

Nous ne savons de quel œil l’Angleterre verra cette résurrection de la puissance navale de l’Espagne ; quant à la France, elle ne peut que s’en féliciter. Les deux pays n’ont pas d’intérêts contraires, et ils ont politiquement et commercialement un grand nombre d’intérêts communs. Tout ce qui fortifiera l’Espagne nous fortifiera. Si cette communauté d’intérêts n’a pas encore produit tous ses résultats naturels, cela tenait à la faiblesse même de l’Espagne. L’ombrageuse susceptibilité de ce pays répugnait à resserrer une alliance qui, dans ces conditions d’inégalité, eût pu paraître entachée d’une espèce de protectorat. L’Espagne sera de meilleure composition, elle nous fera au besoin des avances dès qu’elle pourra traiter avec nous d’égal à égal. Hélas ! nous n’avons prêté que trop la main à la réalisation de cet équilibre. Depuis que l’Espagne se relève, de combien la France ne s’est-elle pas abaissée !

Ne nous endormons pas toutefois, vis-à-vis de l’Espagne, dans un quiétisme expectant. La réforme des tarifs espagnols a mis en éveil toutes les nations industrielles, et, si nous nous laissions devancer par elles à Madrid, l’esprit de concurrence pourrait bien arrêter ou détourner à notre détriment le cours naturel des choses. Nous l’avons déjà dit dans la Revue, la nouvelle loi douanière, quoique conçue dans des vues très générales, laisse au gouvernement espagnol une grande latitude d’interprétation. La faculté qu’il a, par exemple, de désigner les bureaux de douanes par où pénétreront les tissus qui jusqu’ici étaient prohibé, lui permet d’agrandir, de restreindre ou de déplacer à son gré le débouché de chacune des puissances intéressées. — L’Angleterre, les États-Unis, la Belgique et à sa suite le Zollverein, que le traité de 1845 a mis en possession du port belge d’Anvers, sont aujourd’hui nos concurrens à Madrid ; n’attendons pas, pour y défendre nos intérêts, que des obsessions, des avances rivales, aient enchaîné l’initiative de l’administration espagnole. Nous