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peuvent porter d’autre nom que celui-ci : glorification de l’humanité par l’humanité, c’est-à-dire à la fois orgueil et adulation de soi-même, servilité envers soi-même, complaisances qui renferment l’excuse de toutes les passions, de toutes les sensualités, de toutes les folies, de tous les intérêts, de tous les instincts, de tous les pervertissemens de l’esprit. Puis, au-dessous de ces crimes moraux, intellectuels, dont notre temps est si prodigue, comptez tout ce que le venin subtil de ces tendances néfastes a fait naître : corruptions aisément excusées et obtenues avec tant de facilité par un sophisme quelconque ; règne de la sottise, niaiseries de sentimentalité politique ; vanités, fausseté des caractères, et toutes les bizarreries de la société moderne, ces femmes humanitaires abandonnant leur foyer pour aller porter des toasts à la famille dans des banquets politiques peuplés de célibataires, et ces bacheliers ès-lettres socialistes, doux enfans gâtés par une mauvaise littérature et d’incomplètes études, combattant au sortir du collége pour régénérer le monde. Eh bien ! mettons le doigt sur la plaie, faisons une confession complète ; oui, nous sommes tous plus ou moins coupables. Cet orgueil humain, c’est le cyclope sauvage dont parle Jean-Paul, et que chacun, même les meilleurs d’entre nous, porte en soi dans notre temps.

Quelques livres, quelques écrits récens sont sous nos yeux. Nous y retrouvons partout le même caractère et le même esprit : ce sont les Questions révolutionnaires de M. Proudhon, le Nouveau Monde de M. Louis Blanc, le long pamphlet de M. Considérant intitulé le Socialisme devant le vieux monde ou le Vivant devant les morts, la trop volumineuse Philosophie positive de M. Auguste Comte. Le système et les formules de tous ces hommes ne sont pas les mêmes, mais leur esprit et leurs tendances sont semblables. Ils disent tous les mêmes choses, seulement plus ou moins bien. M. Louis Blanc les dit avec la monotonie habituelle de son style et dans sa prose qui ressemble à la prose d’un rhétoricien plusieurs fois couronné ; M. Victor Considérant les délaie dans son insupportable prose phalanstérienne, imitée de Fourier, tandis que M. Proudhon use, pour les exprimer, des ressources de langage les plus variées et du plus magnifique talent de style. Talent, esprit et style à part, nous ne voyons entre eux aucune différence. M. Proudhon, me dit-on, est un égalitaire, tandis que M. Considérant est un phalanstérien, et que M. Louis Blanc est un communiste. Je réponds qu’entre ce mot de M. Considérant : l’humanité veut jouir, et la banque d’échange, l’économie atomistique de M. Proudhon et la rétribution selon les besoins de M Louis Blanc, nous ne voyons qu’une différence de style et de tempérament ; car la philosophie des uns et des autres, prise dans son essence, peut se résumer ainsi : l’homme est Dieu, il doit s’adorer lui même ; s’il est Dieu, il doit pouvoir détruire le mal, son ancien ennemi ;