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dressant pour cela à tous les phénomènes qui passaient autour de lui, se fiant à toutes les apparences ; mais comme il manquait de règle, comme il ignorait la cause, la nature et l’origine de ces phénomènes, il s’entoura des poisons vénéneux et des substances malfaisantes aussi bien que des fleurs les plus brillantes et des aromes les plus odorans. Là encore il échoua, et plus misérablement encore. Autrefois il était tombé de haut, et maintenant il ne pouvait plus même se dégager des boues et des ordures où il était entré.

Alors il se jeta dans une folie commune aux hommes de notre temps. Ne croyant plus aux choses idéales, ne pouvant plus se fier aux choses terrestres, trompé, désabusé, il fit son dieu de l’intelligence et se mit à adorer ce don précieux, comme s’il était l’unique fondement du monde et la plus inestimable des vertus. Pour lui, désormais, le talent fut tout ; ce qui lui restait de charité, de bienveillance et d’amour ne tarda pas à s’éteindre. Il s’éprit de cette funeste croyance des peuples athées qui adorent l’ombre de Dieu à la place de Dieu lui-même. Il crut à l’intelligence, à ce don inutile lorsqu’il est séparé de tous les objets qu’il est destiné à faire comprendre, inutile comme le serait la lumière, si elle était séparée du monde. Il ne croyait plus à rien, ni au ciel, ni à la terre ; aussi l’intelligence ne lui servit bientôt plus qu’à lui montrer les ombres, les profondeurs et les abîmes de la nuit et du néant. Il se sentit bientôt comme un insecte laissé seul au milieu du lumineux éther baignant les mondes dépeuplés. Alors de plus en plus la solitude se fit dans son ame, son cœur devint un désert ; la volonté ne fit plus entendre aucun mouvement, toute action disparut, et toute puissance s’éteignit.

À toute autre époque, cet homme eût été un monstre et une énigme, mais, à l’époque où nous vivons, je le comprenais trop et je l’aimais. Il me présentait la fidèle image de mon temps ; il était un véritable enfant de son siècle. C’était un type symbolique, comme on dit aujourd’hui, de toutes les idées, de tous les mécomptes, de toutes les désillusions, de toutes les poursuites de notre temps. Comme lui, il changeait sans cesse de croyances et poursuivait un avenir sans but et sans précision. Il avait eu des illusions généreuses et des élans chevaleresques, c’est par là que notre temps a débuté ; puis, lorsque ce siècle eut tout démoli et qu’à l’entour de lui il ne resta plus que des ruines, lorsque l’homme se vît seul au milieu de l’univers avec des abstractions, des essences, des notions du monde métaphysique pour seuls compagnons d’infortune, pour seuls gardiens, pour seuls soutiens, pour uniques consolations, alors il fit entendre un concert de lamentations tel que le monde auparavant n’en avait jamais ouï de pareil. Ce siècle, qui n’avait pas mis de borne à ses espérances, ne mit plus de terme à ses regrets. Il n’avait vu aucun obstacle qui pût s’opposer à ses