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général anglais, fut tué en commandant une charge qui fit le plus grand mal aux Français. Là-bas, là-bas, de l’autre côté du chemin, où vous voyez s’élever cette petite fumée blanche, la garde impériale fut repoussée ; le prince d’Orange fut blessé au versant de ce ravin entre ces faucheurs qui dorment et ce troupeau de moutons qui descend la chaussée, le duc de Wellington, désespéré, croyant pour la troisième ou la quatrième fois la bataille perdue, se renferma dans un bataillon carré. Plus loin, entre la route de Nivelles, et la route de Gennape, apercevez-vous un groupe de petits jardins qui ondulent et s’élèvent en pyramides ? C’est là que Napoléon avait dressé son observatoire, et c’est par ce grand bois, au-delà de la Haye, que les Prussiens, sous les ordres du général Bulow, attaquèrent les Français, commandés par le comte de Lobau. » Souvent ces explications, qui, presque toutes, on le voit, s’étaient sur les points les plus pacifiques et se feraient écouter de Gessner lui-même, sont données par des guides distincts en trois langues différentes, ici à des Français, là à des Anglais, là à des Allemands. On a remarqué, et l’observation a son prix, que les sujets des nations qui ne prirent aucune part effective à la bataille de Waterloo se distinguent et se classent par des sympathies invariables ; car il est impossible de ne pas se prononcer ou pour ou contre les Français en écoutant le grand fait d’armes. Ainsi les Russes se rangent, à quelques exceptions près, du côté des Anglais et des Allemands, tandis que les Danois, les Suédois, les Espagnols, les Italiens, les Portugais et les peuples des deux Amériques se prononcent ouvertement pour les Français. On voit que nous l’emportons de beaucoup dans la balance. Les nations méridionales sont surtout d’une pétulance incroyable dans leurs démonstrations en faveur de Napoléon. J’ai vu une jeune Américaine d’une beauté remarquable se hausser sur ses petits pieds frémissans, cracher aussi haut que possible dans la direction du malheureux lion de M. Cockerill, et monter ensuite sur la troisième assise, où elle dit plusieurs fois en espagnol en agitant son mouchoir : « Au nom de la Havane, ma patrie chérie, vive Napoléon ! »

J’aurais voulu être témoin d’un autre fait, dont les guides confirmeraient l’authenticité ; le voici tel qu’il m’a été raconté. Un voyageur anglais et un voyageur américain des États-Unis avaient gravi ensemble la montagne du Lion, afin de jouir du vaste panorama de la bataille. Le même guide était chargé de les renseigner tous les deux. Il commence son récit, on l’écoute ; il y apportait toute l’impartialité possible : cependant un moment vint où il ne put se dispenser de dire : « Ici les Français plièrent devant le choc impétueux des Anglais. » Aussitôt l’Américain murmure : Ce n’est pas vrai ! L’Anglais le regarde le guide continue. Une seconde fois, il est forcé de dire dans le