Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
661
WATERLOO TRENTE-QUATRE ANS APRÈS LA BATAILLE.

18 juin 1815. Il porte sur trois faces les noms des officiers tués et sur la quatrième cette inscription anglaise dont nous venons de donner le sens :

TO THE MEMORY
OF THEIR COMPANIONS IN ARMS
WHO GLORIOSLY FELL ON THE MEMORABLE
18TH DAY OF JUNE 1815
THIS MONUMENT
IS ERECTED BY THE OFFICIERS OF THE KINGS
LEGION GERMAN.

Ces deux monumens funéraires, par leur position isolée et comme suspendue, indiquent les changemens qu’a subis depuis 1815 le terrain où la bataille de Waterloo fut livrée. Il est si peu ce qu’il était alors, que lord Wellington, en le revoyant il y a quelques années, a pu dire : « Ils m’ont gâté mon Waterloo. » À partir de la Haye-Sainte jusqu’à Mont-Saint-Jean, ce terrain formait un double escarpement traversé par la route de Charleroy. Pour construire la montagne du Lion, on a pris la terre des deux monticules ; le sol diminué dans son épaisseur a dû descendre considérablement, et les deux monumens restés à leur place de chaque côté de la route marquent l’ancien niveau. Ainsi l’endroit où la lutte s’est déployée dans toute sa fureur où le canon a porté ses coups les plus sûrs et les plus décisifs, où le sang a le plus coulé, où la mort a le plus largement fauché, où la victoire et la défaite ont laissé leur plus vive empreinte, cette arène mémorable a disparu. On l’a enlevée à plusieurs pieds, et on l’a ensuite roulée dans la forme d’un entonnoir de deux cent cinq pieds de haut et de mille six cent quatre-vingts pieds de circonférence ! On peut dire sans exagération, de celle construction fantasque et monstrueuse, qu’elle est faite d’ossemens et pétrie avec du sang humain de la base au sommet. Elle fait peur aux hommes, horreur aux Français et pitié aux artistes.

Au-dessous du tombeau de sir Alexandre Gordon, et à l’angle même de l’escarpement dont j’ai rappelé les vicissitudes géologiques, on voyait encore, il y a quelques années, l’arbre sous lequel le général Wellington resta tout le temps de la bataille. Il était impossible d’être plus exposé. Deux fois dans cette terrible journée du 18 juin, séparé de son état-major, il se trouva seul au milieu de la cavalerie française et foudroyé des quatre côtés au pied de cet arbre, qui méritait bien le sort glorieux qu’il a eu. Des spéculateurs anglais l’achetèrent, et, après l’avoir emporté à Londres, ils en vendirent les morceaux sous la forme de chaises de fauteuils et de tabatières. Il est probable qu’on en tire encore une foule de meubles, et qu’il aura le sort de la canne de Voltaire et de la plume qui signa l’abdication de Fontainebleau ; il n’aura pas de fin. On a assez souvent dénié aux Anglais la victoire de Waterloo pour qu’on ne soit pas suspect en rendant justice