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WATERLOO TRENTE-QUATRE ANS APRÈS LA BATAILLE.

dont on les farde. L’éclatante blancheur du stuc qui les recouvre leur ôte en splendeur ce qu’elle leur donne, il est vrai, en propreté. La singulière habitude qu’ont les Belges de blanchir à vif, d’étamer, pour ainsi dire, leurs maisons, imprime à la ville entière le caractère estimable, mais peu monumental, d’une salle à manger. Le sable qu’ils sèment sur le pavé des rues rend encore plus juste la comparaison.

À l’extrémité de ce riche faubourg, on effleure, en passant, les rameaux d’un parc immense dont l’ombre et la fraîcheur viennent tout à coup vous envelopper, dont les parfums résineux vous accompagnent long-temps sur la route. Ce parc, que couronne comme une aigrette un kiosque élégant, entoure la propriété noblement acquise d’un artiste deux fois célèbre, M. Bériot, le mari de Mme Malibran. Malibran ! ce nom va remuer la tristesse au fond du cœur, surtout quand on le prononce à l’entrée de cette voie de longue mélancolie où l’on est sur le point de pénétrer. En m’éloignant de cette masse de verdure et d’ombre pour me rapprocher de la forêt de Soigne, je répétais ces vers écrits par M. de Lamartine au pied de la statue qui a été élevée à la sublime cantatrice dans le joli cimetière de Laken[1], où de est enterrée.

Beauté, génie, amour, furent son nom de femme,
Écrit dans son regard, dans son cœur, dans sa voix ;
Sous trois formes au ciel appartenait cette ame :
Pleurez, terre, et vous, cieux, accueillez-la trois fois !

— Monsieur, me dit mon cocher, m’arrachant brusquement à ma rêverie… Monsieur ! — Eh bien ! qu’y a-t-il ? — Vous me pardonnerez, monsieur, si je vous dérange ; mais, avant d’arriver à Mont-Saint-Jean, je dois vous engager à vous tenir en garde contre une industrie dont vous n’avez peut-être pas entendu parler à Paris. — Une industrie inconnue à Paris ! c’est fort. Enfin !… voyons, quelle est cette industrie ? — Vous supposez aisément, poursuivit le cocher, qu’après la bataille de Waterloo, il resta sur le terrain beaucoup de balles beaucoup de boutons, beaucoup de petites aigles en cuire, des tronçons d’épée, de baïonnette, des poignées de sabre, etc. Sans doute. — Eh bien ! depuis trente-quatre ans, les gens du pays vendent aux étrangers ces débris rouillés, terreux, rongés, à demi détruits par l’oxide. — Il me semble pourtant, mon ami, qu’il ne doit plus y en avoir beaucoup depuis trente-quatre ans qu’on en débite. — Non, monsieur, et voilà précisément où gît l’industrie dont je voulais vous parler. Ceux dort le métier est de vendre de ces choses-là sèment une fois l’an, à frais

  1. On sait que Laken est un château royal situé à trois milles de Bruxelles. Le roi des Belges en fait sa résidence habituelle. C’est à Laken que Napoléon arrêta le plan de la campagne de Russie.