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leur montrant la route, et inclinant leur tête devant Jésus. Ailleurs Marie, fatiguée par l’ardeur du soleil au milieu du désert, apercevant enfin un arbre, dit à Joseph : « Reposons-nous un peu sous son ombre. » Joseph la conduisit vers l’arbre qui était un palmier, la fit descendre de l’âne, et Marie, s’étant assise, regarda à la cime du palmier, et, le voyant chargé de fruits, dit à Joseph : « Je désirerais avoir quelques-uns des fruits de ce palmier, si cela est possible. » Joseph lui répondit : « Comment pourrais-je avoir ces fruits ? l’arbre est trop élevé ; mais ce qui m’inquiète surtout, c’est que bientôt nous allons manquer d’eau, car il n’y en a presque plus dans nos outres. » Alors l’enfant Jésus, tournant ses yeux sur sa mère, dit au palmier : « Abaisse tes branches et donne de tes fruits à ma mère. » À cette voix, le palmier abaissa ses branches jusqu’aux pieds de Marie, et laissa cueillir ses fruits, et quand ils furent cueillis, l’arbre, toujours abaissé, attendait l’ordre de celui qui lui avait commandé. Jésus lui dit alors : « Palmier, relève-toi et réjouis-toi de ta destinée, car tu seras un des arbres qui seront plantés dans le paradis de mon père. »

Roswitha traduit purement et simplement ces miracles ; mais Gerson, chancelier de la docte université de Paris, n’ose pas reproduire ces traits naïfs de la légende ; il se contente d’y faire une allusion oratoire : « Oh ! combien de fois, dit-il, les voleurs, combien de fois la soif, la chaleur et le froid, combien de fois la faim a dû tourmenter les pauvres voyageurs,[1] ! » Puis, continuant sa paraphrase et préférant toujours la réflexion au récit, ce qui sent le docteur et le moraliste, et ce qui est le contraire du poète, il montre comment cette fuite en Égypte était égayée et adoucie par le charme de l’enfant Jésus, qui écartait loin d’eux tout ce qu’il y avait de triste et de pénible il montre la créature empressée à servir Jésus, en mémoire des premiers temps du monde, lorsque l’homme était encore le maître tout-puissant des animaux, ceux de la terre et ceux de l’air. « Jésus, dit-il, ne se servait pas toujours de sa puissance ; mais, comme il était protégé par le don de la justice primitive, aucune bête féroce ne pouvait lui nuire[2]. Ce mot métaphysique, la créature, est destiné à remplacer les lions, les tigres, le palmier, et ce souvenir de l’état primitif de l’homme et de sa puissance originelle doit expliquer l’obéissance empressée et miraculeuse que, dans les apocryphes, les animaux du désert témoignent à Jésus.

  1. O quoties latro, quoties sitis, algor et ardor
    Atque fames potuit inopes vexare viantes.

  2.  Imperio quamvis non saepius utitur isto ;
    Bestia nulla ferox nocuit ; nam tutus abunde
    Justitiae dono primaevae…