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le succès dans l’opinion fut le plus douteux. Les esprits étaient encore à cette époque fortement imbus de préjugés belliqueux ; la France surtout était pour les Anglais l’objet de ressentimens héréditaires que les désastres de la guerre d’Amérique avaient tout récemment ravivés. Un traité, même de commerce, avec la France parut à beaucoup de bons patriotes une véritable monstruosité. Fox se fit dans la chambre des communes l’organe de ces haines. Le discours qu’il prononça à cette occasion était exactement celui qu’aurait prononcé, il y a un an, un membre de l’opposition française, s’il avait été question alors d’un traité de commerce entre la France et l’Angleterre. Il fallait, disait-il, que le ministère eût perdu toute pudeur pour jeter ainsi l’Angleterre aux pieds de son odieuse rivale ; l’indépendance nationale était compromise, sacrifiée ; le traité était tout dans les intérêts de la France, etc. Pitt répondit dans un langage humain, élevé, véritablement politique ; il combattit ces idées surannées de lutte éternelle entre les peuples, et essaya de montrer que l’Angleterre, au lieu de s’affaiblir, puiserait de nouvelles forces dans un plus grand développement commercial. Ces raisons, qui trouveraient encore aujourd’hui en France peu d’échos, n’en trouvèrent pas beaucoup plus alors en Angleterre.

L’ascendant de Pitt fit cependant accepter le traité ; mais il sentit lui-même qu’il avait besoin de donner une compensation aux susceptibilités nationales. L’occasion se présenta bientôt, il la saisit. La guerre éclata entre la Hollande et la Prusse au mois de juillet 1787 ; la Hollande réclama le secours de la France son alliée, et la France se disposait à intervenir, quand Pitt fit signifier au gouvernement français qu’il s’opposait à l’intervention ; ce gouvernement, que troublaient déjà les approches de la révolution, ne se sentit pas assez fort pour passer outre ; la Hollande abandonnée se soumit. C’était le premier succès de l’Angleterre à l’extérieur depuis la guerre d’Amérique, et il était obtenu sur la France ; la nation entière fit éclater des transports de joie. La popularité de Pitt, un moment ébranlée par le traité de commerce, en fut accrue ; mais ce succès était de ceux qui ne s’obtiennent pas sans des sacrifices. Bien que Pitt n’eût pas fait la guerre proprement dite, il avait dû la préparer. Un traité avait été passé avec le landgrave de Hesse-Cassel pour lui assurer un subside annuel qui le mît en état de tenir sur pied douze mille hommes de troupes auxiliaires ; en même temps, les forces de terre et de mer de l’Angleterre avaient dû être accrues et portées fort au-delà des prévisions du comité. Pitt eut donc à souffrir comme financier de son succès comme homme d’état.

Son budget de 1787, par suite de ces armemens extraordinaires, devait encore se solder en déficit. Il résolut de n’en pas parler. À l’aide de quelques anticipations et avec le secours de la dette flottante, il passa l’année sans nouvel emprunt. Cette session ne fut pourtant pas perdue