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plus d’imagination. Cependant je veux faire connaître dès ce moment par un exemple, le genre de poésie que je crois trouver dans les apocryphes.

Dans tous les poèmes épiques connus, il y a une descente aux enfers ; c’est un des épisodes obligés de l’épopée. Ce n’est point par fantaisie qu’Homère a fait évoquer les ombres par Ulysse ; ce n’est point par routine que Virgile, après Homère, a fait descendre Enée aux enfers. Comme il est de la nature de l’épopée de chanter les choses surnaturelles et les choses humaines, et de contenir, pour ainsi dire, dans son sein le ciel et la terre, les poètes épiques, pour pénétrer les mystères qui sont au-delà de cette terre, ont conduit leurs héros dans les demeures souterraines. C’est là qu’ils ont été chercher la révélation des énigmes de cette vie. Les livres apocryphes ont aussi leur descente aux enfers ; c’est la descente de Jésus-Christ dans les limbes, après sa mort sur la croix, quand il vient délivrer les justes de l’ancienne loi : grande et belle scène que les peintres ont souvent représentée et que Klopstock a chantée.

Avant de citer cette descente du Christ aux enfers, que je tire de l’Évangile de Nicodème, je veux chercher dans Homère et dans Virgile de quelle manière ces deux grands poètes ont préparé et amené la descente de leurs héros aux sombres demeures. Une pareille scène, en effet, a besoin d’être préparée, et jamais poète épique ne s’est avisé de transporter tout d’un coup et sans préparation ses héros dans l’affreux royaume des ombres. Il faut que l’imagination du lecteur s’accoutume peu à peu aux sombres et mystérieuses idées qui conviennent à une pareille scène ; il y a là une transition à ménager ; aucun poète n’a manqué à cette règle oratoire. Voyez Homère dans son Odyssée. Ulysse veut évoquer l’ombre de Tirésias, il veut lui demander de lui révéler quelles sont les aventures auxquelles il est encore réservé. C’est aux portes des enfers qu’il doit rencontrer l’ombre du devin. La porte des enfers est placée dans le pays des Cimmériens, « peuple qui vit enveloppé d’une profonde nuit, et que jamais le soleil n’a illuminé de ses rayons, ni quand il monte au sommet des cieux, ni quand il descend sous la terre ; une nuit profonde s’étend sur ces mortels épouvantés ; C’est là que nous dirigeâmes notre course. » Bientôt les sacrifices funéraires s’accomplissent, et le sang des agneaux noirs coule sous la main d’Ulysse ; « alors, attirées par le sang, les ombres des morts arrivent en foule, femmes, filles, jeunes gens, vieillards long-temps éprouvés dans la vie, vierges qui pleurent les amours qu’elles n’ont point eu le temps de goûter, guerriers encore pleins de blessures des combats et encore couverts de leurs armes ; ils viennent tous s’entasser, avec des cris confus, autour de la fosse pleine du sang des agneaux. La pâleur de l’effroi me saisit à cette vue, dit Ulysse. »