Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ce phénomène ne se passe qu’à quelques pieds du sol, et n’atteint jamais la hauteur des régions télégraphiques. Il faut remarquer de plus que presque toujours des nuits sereines succèdent à des jours pluvieux et réciproquement. En supposant donc la télégraphie nocturne établie conjointement avec la télégraphie de jour, il serait difficile que l’intervalle de vingt-quatre heures s’écoulât sans laisser quelques heures favorables au passage des signaux.

Ces considérations ont été si bien appréciées par toutes les personnes qui ont mis la main à l’administration des télégraphes, que depuis trente ans on a fait de continuels efforts pour arriver à créer la télégraphie nocturne. Les frères Chappe n’ont jamais perdu de vue cet objet capital. De leurs recherches assidues, il est résulté que le problème de la télégraphie nocturne ne peut se résoudre que par ce moyen : éclairer pendant la nuit les branches du télégraphe. Malheureusement les essais pour cet éclairage ont presque tous échoué, et il est aisé de le comprendre, car les conditions à remplir sont aussi nombreuses que difficiles. Il faut que le combustible employé donne une lumière assez intense pour que la distance des postes télégraphiques ne lui fasse rien perdre de son éclat (cette distance est en moyenne de trois lieues) ; il faut que, sans entretien et sans réparation, cet éclat reste invariable pendant toute la durée des nuits ; il faut que la flamme résiste à l’impétuosité des vents et des courans atmosphériques qui balaient les hauteurs ; il faut enfin qu’elle suive sans vaciller les branches du télégraphe mises en mouvement par les manœuvres.

La plupart des combustibles essayés ont présenté chacun des inconvéniens particuliers. Les graisses, les résines, la bougie, donnent peu de lumière et une fumée abondante qui masque et offusque les branches du télégraphe. Le gaz employé à l’éclairage de nos rues donnerait une lumière d’une intensité convenable, mais il serait impossible de le distribuer à tous les postes télégraphiques. L’huile ne soutient pas la flamme dans les mouvemens de l’appareil ; la lumière vacille et disparaît par intervalles. Le gaz tonnant, c’est-à-dire le mélange explosif des gaz hydrogène et oxigène, fut essayé à l’époque où Napoléon armait le camp de Boulogne et préparait sa descente en Angleterre. Les expériences faites à Boulogne eurent les plus beaux résultats : le volume de lumière était énorme ; au milieu de l’obscurité des nuits, le télégraphe brillait comme une étoile détachée des cieux, mais le maniement de ce mélange explosif pouvait causer de terribles accidens, et l’on dut renoncer à en faire usage.

Plus récemment M. le docteur Jules Guyot a montré que l’hydrogène liquide, combustible nouveau qu’il a découvert, brûlé dans des lampes de son invention, suffirait à toutes les exigences de la télégraphie nocturne. On a trouvé cependant que la pose de ces lampes serait peut-être par les mauvais temps très difficile ou même impossible, et, par suite de ce déplorable système qui consiste à exiger qu’une découverte atteigne du premier coup la perfection absolue, le projet de M. Guyot, qui aurait pu offrir à l’état de très sérieuses ressources, a vie abandonné. Toutefois, il faut le dire, les essais de télégraphie nocturne auraient été poursuivis avec plus de persévérance par les inventeurs, accueillis avec plus de faveur par le gouvernement et les chambres, si des conditions capitales et toutes nouvelles n’étaient venues apporter dans la question un élément d’une irrésistible influence. Pendant que la télégraphie aérienne cherchait péniblement