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Cinquante ans d’expérience ont suffisamment montré toute l’étendue des services que l’on retire de l’emploi de la télégraphie aérienne. Cependant cette télégraphie a ses imperfections, et nous devons les signaler. Les signaux du télégraphe se transmettent à travers l’atmosphère ; par conséquent ses indications sont soumises à tous les accidens, à toutes les vicissitudes atmosphériques. Les brouillards, les pluies abondantes, la fumée, le mirage, les brumes du matin et du soir, paralysent le jeu du télégraphe aérien. Claude Chappe avait constaté que le télégraphe ne peut fonctionner réellement que deux mille cent quatre vingt-dix heures durant l’année, c’est-à-dire six heures par jour, terme moyen. Aussi affirmait-il que sur douze dépêches de son temps envoyées par les ministère et les autorités à l’administration télégraphique ou aux directeurs du télégraphe en province, six restaient dans les cartons ou étaient envoyées par la poste ; trois ne parvenaient à leur destination que six, douze ou vingt quatre heures après avoir été remises à l’administration, et trois seulement arrivaient aussi promptement que possible. La pratique a montré néanmoins que, même avec ces conditions défavorables, le télégraphe de Chappe suffit, dans la généralité des cas, aux besoins du service. Le vice fondamental de la télégraphie aérienne ne réside donc pas, à proprement parler, dans le trouble accidentel que les variations de l’atmosphère introduisent pendant le jour dans le passage des signaux : cette télégraphie présente un inconvénient plus sérieux, et que, depuis trente ans, on essaie inutilement de combattre. On devine qu’il s’agit de l’absence des signaux pendant la nuit. Le repos force du télégraphe pendant toutes les nuits laisse dans le service une lacune funeste, puisqu’il diminue juste de moitié le temps de la correspondance. Toutes les dépêches que l’on apporte au ministère après deux heures du soir en hiver et après cinq heures en été sont forcément renvoyées au lendemain. Alors, le salut d’une armée dût-il en dépendre, l’état fût-il en péril, la révolte eût-elle arboré son étendard triomphant dans nos rues ensanglantées, nulle puissance humaine ne pourrait arracher le télégraphe à son fatal repos. Aux premières ombres du soir, il a replié ses ailes ; comme un serviteur paresseux, il dort jusqu’au lever de la prochaine aurore. Et cependant de quelle importance n’aurait pas été, en tant d’occasions de notre histoire, l’existence d’une bonne télégraphie nocturne ! La bataille ou l’émeute sont suspendues aux approches de la nuit ; dans ces heures de silence et de trêve, l’autorité publique a le temps d’organiser ses mesures. Les masses dorment, les chefs doivent veiller ; par leurs soins, sous l’ombre protectrice de la nuit, les ordres s’élancent dans toutes les directions avec la rapidité de la pensée, et le lendemain, quand le soleil monte sur l’horizon, la défense est prête ou l’attaque concertée.

Les considérations empruntées aux données de la science montrent sous un autre aspect les avantages de la télégraphie nocturne. La météorologie nous apprend que les nuits limpides sont plus fréquentes que les jours sereins. Presque tous les phénomènes atmosphériques qui, dans le jour, contrarient la libre transmission des signaux, perdent leur influence pendant la nuit. Jusqu’au lever du soleil, les fleuves, les bois, les marais, cessent d’élever leurs vapeurs. Le mirage est nul, les brouillards tombent avec le crépuscule. La nuit abaisse les vapeurs que le soleil avait élevées ; la nuit, les villes, les villages, les usines sont sans fumée. Le refroidissement du soir précipite, il est vrai, l’eau répandue en vapeur dans l’atmosphère, et la résout en un brouillard léger ;