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Maintenant comment ces différens signaux peuvent-ils transmettre l’expression de la pensée ? C’est ici que le génie de l’inventeur va se montrer avec toute la simplicité qui le distingue. Les frères Chappe ont consacré quatre-vingt-douze des signaux primitifs de l’oblique de droite à représenter la série des quatre-vingt-douze nombres, depuis un jusqu’à quatre-vingt-douze ; ensuite ils ont fait un vocabulaire de quatre-vingt-douze pages, dont chaque page contient quatre-vingt-douze mots. On est convenu que le premier signal donné par le télégraphe indiquera la page du vocabulaire, et le second le numéro porté dans cette page répondant au mot de la dépêche. On peut ainsi, par deux signaux, exprimer huit mille quatre cent soixante-quatre mots. C’est à le vocabulaire des mots.

Cependant huit mille quatre cent soixante-quatre mots seraient insuffisans pour exprimer toutes les pensées et pour répondre aux cas imprévus ; d’un autre côté, il est des idées qui doivent revenir fréquemment dans le cours de la correspondance : on a donc composé un second vocabulaire, que l’on nomme vocabulaire des phrases. Il est formé, comme le précédent, de quatre vingt douze pages, contenant chacune quatre-vingt-douze phrases ou membres de phrases, ce qui donne huit mille quatre cent soixante-quatre idées reproduites. Ces phrases s’appliquent particulièrement à la marine et à l’armée. Il est bien entendu que, pour se servir de ce vocabulaire, le télégraphe doit donner trois signaux le premier, pour indiquer qu’il s’agit du vocabulaire phrasique ; le second, pour indiquer la page, et le troisième, pour le numéro de cette page.

On a créé enfin sur les mêmes principes un autre vocabulaire, nommé géographique, qui porte la désignation des lieux[1]. Il est inutile de dire que l’administration a soin de changer très souvent, pour dérouter les observations indiscrètes, la clé des vocabulaires.

Quant aux signaux destinés simplement à la police de la ligne, on comprend que l’emploi de tout vocabulaire serait superflu. Les cent quatre-vingt-douze signaux formés sur l’oblique de gauche, qui ont cette destination, sont connus de tous les employés. Ils expriment les avis que l’administration transmet aux stationnaires : l’urgence, le but, la destination de la dépêche, les congés d’une heure, d’une demi-heure accordés aux guetteurs, l’erreur commise dans un signal, l’absence d’un employé, en un mot tous les cas qui peuvent être prévus, depuis l’absence ou le retard d’un stationnaire jusqu’à la destruction d’un télégraphe par le vent ou la foudre. Ces sortes d’avis parcourent la ligne avec la rapidité de l’éclair, et l’administration est instruite en un clin d’œil de la nature de l’obstacle qu’a rencontré la dépêche et du lieu précis où elle s’est arrêtée.

La vitesse de transmission des dépêches varie suivant la direction des lignes. On reçoit à Paris les nouvelles de Calais (68 lieues) en trois minutes, par le moyen de trente-trois télégraphes ; celles de Lille (60 lieues) en deux minutes, par vingt-deux télégraphes ; celles de Strasbourg (120 lieues) en six minutes et demie, par quarante quatre télégraphes ; celles de Toulon (267 lieues) en vingt minutes, par cent télégraphes ; celles de Brest (150 lieues) en huit minutes, par cinquante-quatre télégraphes.

  1. Depuis 1830, on a refondu en un seul les trois vocabulaires de Chappe, que l’on a d’ailleurs fort étendus. L’administration a trouvé les bases de ce travail toutes préparées par Chappe l’aîné, qui avait composé un vocabulaire de soixante-un mille neuf cent mots.